La crise du Covid-19 n’est pas encore de l’histoire ancienne, et pourtant, il est déjà temps de « se souvenir de cette rupture anthropologique majeure pour construire l’avenir », selon les mots de Laëtitia Atlani-Duault, présidente de l’Institut Covid-19 Ad Memoriam (Université de Paris et Institut de recherche pour le développement).
Beaucoup de choses ont été déjà dites sur le confinement des Ehpad, qui fut « la meilleure et la pire des choses », pour reprendre le Dr Cyril Hazif-Thomas, médecin psychiatre, CHU Brest et Espace de réflexion éthique de Bretagne. Et l’étude CovidEhpad, à travers plus de 250 entretiens dans une cinquantaine d’Ehpad, permettra de poser des mots justes sur ce qu’on sait déjà : dilemmes éthiques, parole des résidents réduite au silence, entorses aux droits, rites et accompagnement de la fin de vie empêchés.
Sans attendre les résultats, se dégage un consensus en faveur d’une remise en cause des Ehpad. « Des résidents ont été contraints. La pertinence d’un modèle qui ne peut garantir certains droits se pose », considère le Pr Régis Aubry, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et spécialiste des soins palliatifs. Ceci d’autant plus que les atteintes ont existé avant l’épidémie et perdurent encore aujourd’hui, a dénoncé la Défenseure des droits (DDD) Claire Hédon, au vu des 900 réclamations reçues ces six dernières années, dont 200 depuis le début de l’épidémie. « Avec le manque de moyens, les contraintes organisationnelles des Ehpad peuvent engendrer une maltraitance institutionnelle : atteintes au droit d’aller et venir (sous prétexte de sécurité), toilettes faites la porte ouverte, impossibilité de fermer sa chambre », explique-t-elle. « Le confinement a aggravé le non-respect du consentement et les entraves aux sorties… Encore aujourd’hui, on a l’impression que les personnes âgées n’ont pas été déconfinées », poursuit-elle.
Quelle place pour le médical ?
Comment métamorphoser l’Ehpad ? D’abord en regardant les choses en face. « Ce sont des lieux de fin de vie, il faut l’assumer, et accompagner cela », incite le Pr Aubry. « Il faut oser dire que la mort est au bout du chemin ; c’est aussi une façon de remettre la mort au sein de la vie », enchérit la Dr Ségolène Perruchio (centre hospitaliser Rives de Seine, Société française d’accompagnement et de soins palliatifs).
Dès lors, faut-il renforcer la prise en charge sanitaire ou au contraire, démédicaliser ce qui est un lieu de (fin de) vie ? « Dissocier la perte d’autonomie de la maladie elle-même est une erreur conceptuelle initiale, au fondement de la conception de l’Ehpad ; il existe un continuum entre maladie et dépendance », analyse le Pr Olivier Guérin, président de la Société française de gériatrie et de gérontologie, en charge d’un rapport pour le ministère de la Santé. Il devrait y prôner une continuité de la prise en charge de la perte d’autonomie, entre unité de soins longue durée et Ehpad, et plaider pour une expertise médicale (et présence infirmière) permanente dans les Ehpad. « Ce lieu de vie doit être celui d’un soin efficace et rapide pour éviter les départs aux urgences », considère-t-il.
Autre question : faut-il des Ehpad spécifiques pour les personnes souffrant de troubles cognitifs ? Ou bien y aurait-il ainsi ghettoïsation ? Pas de réponse en noir ou blanc. « Cela peut être intéressant d’avoir des Ehpad différents, comme à Bordeaux où le CHU a construit un établissement destiné aux personnes Alzheimer, avec l’objectif d’éviter les prises en charge médicamenteuses et de laisser des espaces de liberté suffisamment grands », argumente Christine Ratineau, directrice de deux Ehpad, l’un ordinaire, l’autre spécialisé − qui a d’ailleurs mieux vécu la crise. « L’enjeu est que le résident ait un sentiment de liberté et non de contrainte », souligne le Pr Aubry.
Expérimenter d’autres modèles
Finalement, c’est surtout l’idée d’un unique modèle d’accompagnement du vieillissement à laquelle la crise du Covid-19 a donné un coup de grâce, laissant la voie libre à de multiples expérimentations. Le lit peut ne pas toujours être l’élément central de la chambre, comme l’a fait remarquer l’architecte Donato Severo, citant pavillons, patios, résidences autonomie, béguinages, habitats participatifs ou intergénérationnels.
Ceci suppose de dégager la réflexion sur le vieillissement et la fin de vie d’une vision strictement médicale pour l’ouvrir sur une réflexion sociétale et même politique. « Nous devons nous accorder sur nos valeurs et repenser le commun », exhorte le professeur d’éthique Emmanuel Hirsch. Ce qui ne pourra se faire sans impliquer les personnes âgées : « les traiter comme une voix qui compte, les appréhender dans leur singularité, et non comme une seule fragilité, et ne pas opposer les besoins des générations. Les âgés aussi ont besoin d’insouciance ! », a rappelé la philosophe Marie Gaille.
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