L’atmosphère est étrangement calme et silencieuse à Schastya. Sur les lieux depuis quelques instants, un énorme grondement vient rappeler où nous sommes… À quelques kilomètres de là, forces ukrainiennes et rebelles prorusses s’affrontent violemment sur le terrain.
C’est dans cette bourgade de 12 000 habitants qu’une équipe de volontaires ukrainiens a transformé une petite clinique quasiment inactive en hôpital de campagne pour s’occuper des soldats et civils touchés par les affrontements, quel que soit leur camp.
Le Dr Denys Karlov a la mine grave. Le soldat qu’il vient d’opérer, touché à l’aine, peine à se stabiliser. Le médecin vérifie la perfusion d’agents analgésiques reliée à une demi-bouteille en plastique renversée. « Ce n’est pas comme ça tous les jours… Globalement, nous avons pas mal de matériel grâce aux dons des hôpitaux, associations et particuliers. » En aménageant un bloc opératoire, l’équipe a donc pu redonner vie à cette vieille clinique à la peinture écaillée, et aux sanitaires tout aussi défraîchis. Mais l’absence de certains appareils clés, comme un scanner, fait défaut : « Cela nous permettrait d’être beaucoup plus rapides et efficaces dans le diagnostic Il m’est arrivé de me tromper du coup… Mais heureusement, mes erreurs n’ont pas été fatales jusqu’à présent », explique le Dr Karlov.
Stabiliser avant d’évacuer
Dans le bloc justement, on aperçoit les radios accrochées sur les vitres à la hâte… Dans ces conditions d’exercice, l’objectif de l’équipe reste de traiter l’urgence, donc de stabiliser, avant d’évacuer, en hélicoptère, les blessés vers de plus gros hôpitaux comme ceux de Kharkiv ou de Kiev. « En temps de paix, lorsque j’opère un patient touché par de multiples éclats d’obus, je prends le temps de tout enlever. Là, je me contente d’arrêter l’hémorragie et de le stabiliser avant de l’envoyer ailleurs », reconnaît Denys Karlov.
Entre trois et quinze blessés arrivent ici chaque jour et sont opérés, souvent pour des amputations. L’équipe de soignants, presque uniquement des volontaires, oscille entre cinq et dix chirurgiens, et une vingtaine d’infirmières, comme Elena : « Le plus dur, c’est de se dire que tous ces jeunes, même si on les sauve, vont rester invalides. Bien sûr on a déjà vécu ces situations, mais c’était seulement un de temps à autre. Là… » Elena, les traits tirés par la fatigue, déplore le manque de personnel, qui se ressent surtout lors des opérations : « Souvent, les blessés arrivent tous d’un coup, et là ce n’est pas comme en temps normal, où chacun fait ce qu’il a à faire selon une procédure bien définie. C’est beaucoup plus dans l’urgence et l’improvisation. »
Et même si Elena n’est pas tellement impressionnée par les blessures souvent spectaculaires des soldats (« Ça, c’est notre métier. »), elle doit pourtant assister les chirurgiens dans des opérations inédites comme cette énucléation, avec Denys Karlov, la veille. « Je ne l’avais jamais fait ! Et puis dans la région d’ailleurs, nous ne faisons pas de neurochirurgie. Dans tout ce malheur, le seul point positif c’est que je progresse. Je crois que je pourrais faire face à tout après cette guerre. »
Elena est en effet originaire de la région. Elle exerçait depuis plus de dix ans dans une clinique ophtalmologique de Lougansk. Elle a dû fuir lorsque les bombardements sont devenus trop pressants, et a décidé de venir prêter main-forte à l’équipe de Schastya.
« Aider sa patrie »
Olga, elle, n’a pas été chassée par les bombardements. Maire d’une petite ville à l’Ouest du pays, la jeune femme de 33 ans a quitté mari et enfant pour venir coordonner les équipes de volontaires de l’hôpital, sans vraiment dire la vérité à ses proches. Elle vient aussi de s’enrôler dans l’armée… c’est l’une des rares femmes soldats du pays. Elle va souvent chercher des blessés et les ramène jusqu’à la clinique : « Le plus dur c’est de regarder les séparatistes dans les yeux quand je m’occupe d’eux. Je vois très bien qu’ils ont honte, et je n’arrête pas de penser à ce qu’ils ont fait… »
Même engagement du côté d’Artur, chirurgien en pédiatrie. Ce dernier a laissé ses deux enfants à Kharkiv, sa ville d’origine, à 400 km de là, pour « aider sa patrie ». Peu importe que cela soit sur son temps de vacances… « Quand je suis arrivée ici, j’étais terrifié. Maintenant, moins. C’est incroyable de voir à quel point l’être humain peut s’habituer à l’horreur. »
La fin d’après-midi approchant, les bombardements s’intensifient. Nous quittons Schastya. Schastya signifie littéralement « bonheur » en ukrainien.
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