Serge Simon est un homme au profil atypique. Deux fois champion de France de rugby dans les années 1990, il est également médecin généraliste. Il a fondé le CAPS (Centre d’accompagnement et de prévention pour les sportifs) au CHU de Bordeaux, dont il fut chef de service, avant d’arrêter l’exercice de la médecine il y a quatre ans.
À ses heures, l’homme est aussi écrivain et réalisateur. C’est cette dernière casquette qu’il enfile pour réaliser ce documentaire, sans se départir de son regard de médecin, car les faits qu’il relate mêlent histoire militaire, histoire coloniale et histoire médicale.
Virées de fin de soirées
Ce qui a amené Serge Simon à s’intéresser au camp du Courneau, ce sont d’abord des voyages au Sénégal qui le sensibilise à l’histoire des bataillons coloniaux, généralement qualifiés de « tirailleurs sénégalais », mais qui étaient formés d’hommes venant de tous les territoires de l’Empire colonial français en Afrique subsaharienne. Mais aussi des virées en voiture en Gironde, où il jouait au club de rugby de Bègles. « En fin de soirée, on prenait un chemin pour éviter la maréchaussée, une piste forestière qui s’appelait la Route des Sénégalais, mais je ne m’étais jusqu’alors jamais posé la question de l’origine de ce nom... », raconte Serge Simon.
Les lieux doivent en fait cette appellation à un camp où des soldats africains furent installés pendant la 1re Guerre mondiale. L’objectif était de leur faire passer l’hiver loin du front, où ils souffraient encore plus que les autres poilus du froid.
En 1916, 600 baraquements ont été construits à la va-vite sur la commune de La Teste, non loin de Bordeaux. Le camp sert également de lieu de formation militaire pour les soldats qui arrivent d’Afrique. Rapidement, la mortalité s’avère anormalement élevée dans le camp. Entre avril 1916 et l’automne 1917, sur les 40 000 hommes qui transitent par le camp, plus de 1 000 y décédèrent. Et plus de 90 % des décès sont imputables à des cas de pneumonie.
Face à l’épidémie, deux médecins s’opposent, le Dr Blanchard et le Dr Kérandel. Le premier prône l’isolement des malades contagieux et leur rapatriement en Afrique du Nord. Le second, pasteurien mobilisé et médecin du camp, avance la possibilité de mettre au point un vaccin contre le pneumocoque. Au ministère de la Guerre, Justin Godart est le premier civil à occuper le poste de responsable du service de Santé des Armées. Il se méfie des préconisations du Dr Kérandel. Mais sous la pression des militaires et du lobby pasteurien en pleine vogue en ce début de XXe siècle, c’est le Dr Kérandel qui l’emporte. Fort de ses entrées à l’Institut Pasteur, il met au point un vaccin contre le pneumocoque en seulement quatre semaines. Autrement dit sans passer par des expériences animales.
Un vaccin contre le pneumocoque ?
Il teste alors ses premières doses de vaccin au camp de Fréjus où se trouvent également des soldats africains souffrant de pneumonie. Puis il continue massivement l’expérimentation humaine au Camp du Courneau. Le vaccin s’avère inefficace. L’épidémie continue.
Après la guerre, le Dr Kérandel a été nommé directeur de l’Institut Pasteur de Téhéran, où, ironie du sort, il décède d’une pneumonie dans les années 1930. Le vaccin contre le pneumocoque n’est mis au point qu’en 1977.
En se lançant dans les recherches sur le camp, Serge Simon ignore totalement cette histoire d’expérimentation médicale. « C’est assez étonnant, je n’en savais rien. C’est quelqu’un qui travaillait sur le camp, un historien amateur insolite, qui m’a chuchoté un jour "il s’est passé des choses dans les camps, des expériences...". Il m’a mis sur la voie », explique Serge Simon. Ses recherches sur les expériences humaines le conduisent à l’ouvrage de Christian Bonah, « Histoire de l’expérimentation humaine en France. Discours et pratiques, 1900-1940 » où il est fait mention du camp du Courneau. « J’ai fait le lien entre les gens qui connaissaient le camp, son histoire, et ceux qui connaissaient les expérimentations qui y avaient été menées mais ne savaient rien du camp en lui-même ! », poursuit Serge Simon.
De manière générale, ce film, qui a été diffusé en France et au Sénégal, a permis de faire connaître et reconnaître ces événements. Une plaque avec les noms des mille soldats décédés vient d’être posée sur les lieux de l’ancien camp, où les corps des soldats avaient été enterrés dans une fosse commune.
*Une pensée du Courneau, Le mystère du camp des Nègres, réalisé par Serge Simon, 2011, coproduit par Grand Angle Productions (www.grandangle.com) et France Télévisions
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