Riverain de deux restaurants cibles, vendredi soir, de fusillades, le Dr Michel Bonnot s'est précipité sur les lieux vendredi soir et s'est trouvé bien démuni, même après l'arrivée des pompiers.
Il a fait parvenir son témoignage au « Quotidien ». Le voici :
« Je suis anesthésiste–réanimateur et il se trouve que j’ai une grande expérience des blessures de guerre. J’habite à quelques dizaines de mètre de la rue de la Fontaine au Roy. J’ai tout de suite reconnu le staccato des fusils d'assaut et sans perdre une minute je me suis précipité pour porter secours. La Casa Nostra n’avait pas encore été attaquée et 4 corps gisaient à la terrasse de la « Bonne Bière ». Je découvrirai les autres corps et blessés à l'intérieur plus tard. Les deux hommes étaient morts. Sans appel. Deux jeunes femmes agonisaient. Avec un sapeur en civil nous avons essayé de réanimer la première. Massage, bouche à bouche… L'autre allongée sur le côté respirait et parlait à faible voix... J'ai pensé qu’elle allait s’en sortir seule.
Que le temps a semblé long d’attendre l’arrivée des camions de sapeur ! 20 minutes c’est une éternité ! J’ai demandé d’urgence le renfort du médecin. Il n’y en avait pas. Le brigadier m’a dit que le SAMU arrivait. Alors j’ai demandé du matériel pour commencer le déchocage de la petite : pour la perfuser et l'intuber afin de la mettre sous assistance cardio-respiratoire. Il n’y avait rien ! Seulement de l’oxygène, des couvertures de survie et des garrots pour les membres. Même pas de morphine pour les blessés qui hurlaient de douleurs ! La petite a alors lâché et est partie entre mes mains… La fusillade à la Casa Nostra a commencé et il a fallu en catastrophe se replier à quatre pattes dans la brasserie en tirant les corps des morts et des blessés graves dans les éclats de verre et le sang comme des sacs de pommes de terre.
La deuxième jeune femme a commencé à sombrer… nous l’avons massée et ventilée au masque … en vain elle est partie aussi… Que pouvions-nous faire de plus avec seulement de l’oxygène ! Alors on a empilé son corps sur ceux des autres, à coté du bar… cela m a rappelé les charniers en Bosnie.
Monsieur Pelloux, inutile de faire de la gloriole sur notre système de secours et de jouer au héros. Je n’ai jamais vu arriver vos camions qui étaient tous concentrés Place de la République ou il n’y avait pas grand-chose et pas encore l’attaque du Bataclan.
Et en résumé, je dirais que tous les blessés graves de la Fontaine au Roy sont morts. Certains auraient pu être sauvés. Seuls les blessés légers (balles dans les jambes ou bras) sont survivants. Pas de quoi pavoiser. Et guère mieux que les secours de la guerre de 14-18 il y a plus d’un siècle ! Nous n’avons pas assez de moyens de SAMU, allez vous me répondre ! Alors pourquoi ne pas donner aux véhicules de sapeur pompier une trousse d’urgence et de réanimation en dotation, avec morphine et perfusions, afin que des les médecins présents sur les lieux des attentas puissent faire leur travail. Fini le temps ou les secours devaient transporter des entorses ou des malaises cardiaques… maintenant il convient de véhiculer des corps affreusement mutilés par des blessures de guerre. Cela ne s’improvise pas ! Il faut tout repenser. »
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