Insuffisance cardiaque

Quels effets des traitements sur la fonction rénale ?

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Publié le 21/06/2018
traitement IC

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Crédit photo : Phanie

Au cours de l’insuffisance cardiaque aiguë, plusieurs médicaments ont été testés sans succès pour améliorer la fonction rénale : le nésiritide, un analogue du BNP, la dopamine à faible dose au cours de l’essai ROSE, la rolofylline dans l’étude PROTECT, le tolvalptan, un antagoniste du récepteur V2 de la vasopressine, dans l’essai EVEREST, et la sérelaxine dans l’étude RELAX-AHF2. L’intensité et les méthodes d’obtention de la déplétion hydrosodée ont également été évaluées. Dans l’essai DOSE, les fortes doses de diurétiques sont associées à une diurèse importante, mais également à une altération de la fonction rénale. Dans l’étude CARESS-HF, l’hémofiltration, comparée aux diurétiques, a entraîné une plus forte perte de poids, mais aussi une aggravation de la fonction rénale plus fréquente. Néanmoins, une congestion veineuse persistante étant plus grave qu’une dégradation de la fonction rénale, si cette dernière demeure modérée, il ne faut pas diminuer la dose de diurétiques et respecter cette « pseudo-insuffisance rénale », qui n’est que le reflet de l’hémoconcentration générée.

En cas d’insuffisance rénale

Au cours de l’insuffisance cardiaque chronique à fraction d’éjection réduite, l’insuffisance rénale et l’hyperkaliémie sont des facteurs de sous-prescription des traitements de fond, notamment des inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), ce qui participe à l’aggravation du pronostic. Lors de l’introduction ou de la titration des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou des antagonistes des récepteurs minéralocorticoïdes (ARM), une altération de la fonction rénale précoce n’est pas associée à une aggravation du pronostic, pouvant même être considérée pour les IEC comme un marqueur d’efficacité hémodynamique intrarénal, lié à la levée de la vasoconstriction des artérioles efférentes glomérulaires, amenant alors à parler de « pseudo-aggravation de la fonction rénale ». Une aggravation de la fonction rénale pendant l’initiation des bloqueurs du SRAA est donc tolérable, dans la mesure où l’augmentation de la créatinine est inférieure à 50 %, sans dépasser 265 µmol/L (30 mg/L), et la diminution du débit de filtration glomérulaire (DFG) inférieure à 25 mL/min/m2. Au-delà, il faut diminuer les doses ou arrêter le traitement.

Quant à la survenue d’une hyperkaliémie, elle est également fréquente, notamment en cas d’insuffisance rénale avec un DFG inférieure à 45 mL/min/m2, ce qui a conduit au développement de nouveaux chélateurs du potassium, comme le patiromer, dont l’utilisation au long cours pourrait permettre de poursuivre les bloqueurs du SRAA. En attendant la mise à disposition de ces médicaments, face à une hyperkaliémie et à une insuffisance rénale, on peut proposer, en cas de K+ de 5,5 mmol/L au maximum et/ou d’augmentation de la créatinine inférieure à 100 %, de diminuer les doses des bloqueurs du SRAA de moitié et de contrôler la biologie au bout d’une semaine. Par contre, en cas de K+ supérieur à 5,5 mmol/L et/ou d’augmentation de la créatinine supérieure à 100 %, il convient de les arrêter.

Des règles d’utilisation des bloqueurs du SRAA doivent cependant être respectées en cas d’insuffisance rénale, tenant compte du DFG de base. Les IEC et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 (ARA2) ne peuvent être initiés en cas de DFG inférieur à 15 mL/min/m², sauf après avis d’un néphrologue. Chez les patients présentant un DFG inférieur à 60 mL, leur introduction et leur titration doivent être très progressives, sous surveillance biologique stricte. Si la dose maximale reste fonction de leur tolérance clinique et biologique, cette posologie est en règle générale diminuée de moitié si le DFG est inférieur à 30 mL.

Pour les ARM, qui ne sont pas néphrotoxiques mais font courir un risque d’hyperkaliémie, d’autant plus grand que le patient est diabétique, âgé et/ou présente une insuffisance rénale préexistante, il faut diminuer la dose de 50 % pour un DFG entre 30 et 60 mL/min/m2. Mais ils demeurent contre-indiqués pour un DFG inférieur à 30 mL ou une kaliémie supérieure à 5 mmol/L à l’état basal. Plus que ces valeurs théoriques, c’est l’évolution des paramètres biologiques, dont la surveillance doit être rigoureuse, qui guidera leur prescription. Il faut expliquer aux patients fragiles qu’ils ne peuvent pas utiliser de sel de régime comprenant du potassium ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens, et doivent arrêter les ARM dans les situations à risque d’hypovolémie et donc d’insuffisance rénale fonctionnelle (diarrhée, vomissements…), en attendant l’avis du médecin.

Quant aux inhibiteurs mixtes des récepteurs de l’angiotensine 2 et de la néprilysine, bien que dans l’étude PARADIGM-HF leur tolérance rénale se soit révélée supérieure à celle de l’IEC (l’inhibition de la dégradation des peptides natriurétiques par le sacubitril induisant une vasodilatation des artérioles afférentes des glomérules), leur utilisation n’est pas indiquée si le DFG est inférieur à 30 mL/min/m2.

Au cours de l’insuffisance cardiaque chronique à fraction d’éjection préservée, la dégradation de la fonction rénale lors de l’introduction des bloqueurs du SRRA est par contre associée à un mauvais pronostic dans une méta-analyse.

Quel que soit le type d’insuffisance cardiaque, l’introduction des bloqueurs du SRAA est moins bien tolérée en phase de décompensation, où l’hypovolémie, générée par l’augmentation de la posologie des diurétiques, et fréquemment un syndrome inflammatoire concourent à favoriser la survenue d’une dégradation de la fonction rénale. Si un arrêt préalable du traitement diurétique est rarement possible, leur introduction puis leur titration devraient être réalisées chez un patient euvolémique. Pour les inhibiteurs de la néprilysine, qui, en augmentant les taux de peptides natriurétiques endogènes, possèdent une action natriurétique, il faut parfois diminuer la dose de diurétique de l’anse et éviter une introduction au cours d’une hospitalisation pour décompensation. Enfin, chez les patients dialysés, la posologie d’IEC devra être diminuée du fait de leur élimination rénale, environ au quart de la dose utilisée en l’absence d’altération de la fonction rénale. Quant aux bêta-bloquants, leur élimination étant essentiellement hépatique, notamment pour le carvédilol, le métoprolol et le nébivolol, ils ne nécessitent pas d’adaptation des posologies. Seules les doses de bisoprolol, qui est éliminé à 50 % par les reins, doivent être réduites initialement de moitié.

Les diurétiques de l’anse en 1re intention

Les diurétiques de l’anse sont utilisés en 1re intention, inhibant les pompes Na+-K+ ATPase au niveau des cellules de la branche ascendante de l’anse de Henle. Leur posologie doit être adaptée au niveau de l’insuffisance rénale, qui diminue leur efficacité en réduisant la sécrétion de furosémide dans la lumière tubulaire. En cas d’insuffisance cardiaque sévère compliquée d’insuffisance rénale et de résistance aux diurétiques, il faut augmenter rapidement les doses de diurétiques de l’anse per os, de 25 fois la posologie par jour en condition basale, en répartissant la dose sur la journée pour diminuer la réabsorption de sodium entre les prises, ou passer à la voie intraveineuse en y associant un régime hyposodé sévère. En cas d’inefficacité, on peut associer un diurétique thiazidique, comme l’hydrochlorothiazide, à la dose de 25 à 50 mg/j pendant quelques jours. En agissant sur un autre site du tubule rénal, il peut permettre de doubler la diurèse quotidienne, au prix de fréquents effets secondaires. En cas d’échec, l’utilisation de la dobutamine ou le recours aux méthodes d’épuration extrarénale doivent être discutés.

En somme, si fonctions cardiaques et rénales évoluent le plus souvent parallèlement, une amélioration de l’état cardiaque étant suivi d’une amélioration de la fonction rénale, une dégradation de cette dernière n’est pas toujours grave si elle est associée à une bonne réponse aux diurétiques dans l’insuffisance cardiaque aiguë, ou à l’introduction ou la titration des bloqueurs du SRAA dans l’insuffisance cardiaque chronique à fraction d’éjection réduite. En revanche, une amélioration de la fonction rénale n’est pas forcément un critère de bon pronostic dans l’insuffisance cardiaque aiguë (ESCAPE). Une analyse de l’hémodynamique et de la volémie, à l’aide de tous les moyens disponibles, afin d’apprécier les mécanismes en cours, en distinguant les rôles respectifs de la diminution du débit cardiaque et de la congestion veineuse, est une étape essentielle vers les bonnes réponses thérapeutiques. Le cardiologue reste donc indispensable à la gestion de l’insuffisance rénale du patient insuffisant cardiaque. Le maintien de l’utilisation des bloqueurs du SRAA doit être privilégié, afin de ne pas entraîner par un excès de prudence une perte de chance liée à leur non-prescription, sous surveillance biologique stricte. Dans les cas les plus sévères, une collaboration avec le néphrologue s’impose, et le recours à l’hémofiltration en aigu et à la dialyse péritonéale en chronique sera envisagé.

Respectivement cardiologue et néphrologue au CHU de Toulouse
(1) Tuegel C, Bansal N. Heart. 2017 Dec;103(23):1848-53

Pr Michel Galinier, Dr Aliénor Galinier

Source : Bilan Spécialiste