Courrier des lecteurs

Il n'y a pas de désert médical, mais un système à bout de forces

Publié le 23/05/2025
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Jeune, ou plutôt récent, retraité, après presque quarante ans de médecine générale, seul, en libéral, j'ai repris une activité de remplaçant un jour par semaine. Sans être un expert des problèmes de santé, j'ai la faiblesse de croire que mon avis peut apporter un éclairage différent de ce que je lis, entends et constate.

Plusieurs positions m'irritent : la guéguerre entre communes, pour s'attirer, parfois à un prix absurde, un médecin, aux dépens de la commune voisine ; la diminution d'activité des médecins ; le dogme « il n'y a plus de médecins en France » ; l'absence totale de remise en question du système de santé ; la mauvaise utilisation des remplaçants ; l'absence de remise à niveau « institutionnelle » et le délire du nombre des années d'études.

La guéguerre entre communes.

Cette situation, parfois ubuesque, fournit des avantages immérités à nombre de médecins. Car les maires sont amenés à faire parfois des ponts d'or à ces confrères (aussi pour remplir des maisons médicales qui poussent mieux que les champignons, avec l'argent du contribuable). Mais, en les attirant chez eux, ces confrères les dévient nécessairement d'un autre choix. Or, la patientèle d'un médecin ne se limite jamais à une seule commune.

Il me semble indispensable de recentrer le débat, auprès des maires, sur une vision plus large que la commune, en ce qui concerne la santé. Il y aura toujours une majorité de cette patientèle qui viendra en voiture. Alors, ma commune, ou la commune voisine… Pourvu qu'il y en ait un pas loin !

Car il n'y aura pas assez de médecins pour chaque commune. Un clocher, un médecin, c'est fini ; pour le curé aussi d'ailleurs ! Un médecin pour un territoire ; ce qui signifie pour les maires : associez-vous, au lieu de vous quereller.

La diminution d'activité des médecins

J'ouvre ici un débat difficile, au risque de me faire lapider. Dans la situation actuelle, de nombreuses consultations sont courtes. Bien sûr, on peut les faire durer, mais on peut aussi accepter cette brièveté. Un renouvellement d'ordonnance, quand il est fait pour un ou trois mois, une rhino, un certificat inutile, une sciatique, un lumbago, une cystite, etc. sont des consultations simples (hors les histoires de chasse que chacun va ressortir) qui prennent peu de temps, si on est un minimum organisé. Nombre de ces consultations doivent être déléguées.

De mon expérience, on peut facilement tenir le rythme d'une consultation toutes les quinze minutes, les courtes permettant d'absorber les longues (psychiatrie, pathologies complexes…). Ce qui, en travaillant sept heures par jour et cinq jours par semaine (soit trente-cinq heures), donne 140 consultations par semaine.

Avec une consultation toutes les vingt minutes, on arrive à 105 consultations/semaine dans ma commune, le maire veut faire venir un médecin salarié, qui travaillera sur cinq communes, un jour chacune, au rythme de 17 consultations par jour… Soit quatre heures et un quart pour quinze minutes, ou bien cinq heures et demie pour vingt minutes — 85 consultations/semaine - la collectivité paye la différence – ce n'est pas sérieux).

Mais, vous me direz, il y a le reste : la compta, le courrier, l'administratif…

Le dogme : « il n'y a plus de médecins en France »

En fait, ce n'est pas qu'en France, mais dans la majorité des pays européens. Je pense que l'outil « médecin » est très mal utilisé, toujours sur le mode du XIXe siècle (j'exagère à peine). Il est indispensable de modifier la vision que l'on a du médecin, et d'entrer, enfin, dans le monde moderne.

Pour simplifier, je pense que les médecins sont amenés à faire trop de travail d'officier de santé, et pas assez d'expertise de médecin. Trop de consultations qui ne nécessitent pas la présence d'un professionnel avec neuf ou dix ans d'études. Du gâchis. Pour la société, et pour le médecin.

En supprimant toutes ces consultations qui absorbent beaucoup de temps inutile, on va se retrouver peut-être sans déficit de démographie. Et redonner au médecin généraliste un rôle d'expert en santé. Il faut déléguer !

L'absence totale de remise en question du système de santé

Dirigeants, Sécurité sociale, praticiens, patients, tous coupables. Les dirigeants, par paresse ou par peur : tant que ça marche… La Sécurité sociale, contrainte par une nécessité financière et des demandes qui explosent. Les praticiens, par habitude, par frilosité, et manque de temps pour évoluer. Les patients, par confort.

Je pense qu'il faut remodeler complètement ce système, pour le bien de tous. Il faut innover.

Le point d'achoppement, pour les professionnels, reste la rémunération. Il en va de même pour les caisses. Je propose donc, que pendant trois ans, les médecins soient rémunérés à hauteur de la moyenne de leurs trois dernières années (à aménager pour les jeunes qui débutent). Ces trois ans vont permettre de modifier complètement ce système qui est au bout de son bout du rouleau.

Déléguer, déléguer, déléguer : rhino, renouvellements (une fois par an, en dehors de nouveau symptôme, pour la majorité des patients), certificats médicaux parfois ubuesques, lumbago et sciatiques, cystites, etc.

Éduquer, éduquer, éduquer : apprendre à nos concitoyens que la toux, la température, par exemple, ne sont pas synonymes, dans l'immense majorité des cas, de maladie grave.

Modifier : cesser les arrêts de travail de trois jours pour rhino, les consultations pour certificat d'absence pour la cantine, les certificats médicaux (la responsabilité d'une inscription au sport doit revenir au patient (comme dans beaucoup d'autres pays) ; à lui de consulter pour un bilan CV plus ou moins complet), etc.

Évoluer : utiliser l'IA avant de la subir totalement par des organismes extérieurs qui seront, eux, experts, et surtout experts en prélèvements mensuels !

Il faut libérer du temps au médecin, ce qui va mécaniquement amener à revaloriser la consultation médicale, et permettre d’intégrer la compta, l’administratif restant (qui aura diminué), le courrier, la remise à niveau…

Au terme de ces trois années, on aura aisément la valeur de la consultation, en divisant le revenu de référence par le nombre de consultations, qui aura baissé sans doute plus que prévu.

La mauvaise utilisation du remplaçant.

Il y a, en France, des territoires reculés, où des médecins fournissent une activité plus que soutenue, proche du dévouement. Ils ont des difficultés à partir profiter d'un juste repos. Il faut les aider, en soutenant financièrement, pour ces situations particulières, une forme de remplacement.

Cela donnera peut-être envie à certains de s'installer, aimant ces territoires, en ayant la certitude de pouvoir partir de temps en temps…

L'absence totale de remise à niveau « institutionnelle »

En libérant du temps médecin, il paraît possible de dégager une à deux heures par semaine de remise à niveau. Ce qui permet, sur une année de 40 semaines, de revoir 40 (ou 80 !) sujets d'une heure, ce qui entraîne, mécaniquement, des économies de santé importantes, par une meilleure utilisation des examens complémentaires, des prescriptions, etc.

Le délire des années d’études en France

Par comparaison, l'Australie qualifie ses médecins généralistes en huit ans. Quand on connaît la difficulté humaine à ajouter des années aux années, après avoir sacrifié sa jeunesse à des études difficiles, deux années supplémentaires sont très chères sur le plan personnel, repoussant, pour beaucoup, l'entrée dans une vie patrimoniale légitime après un tel investissement en années d'études. Quant à la coercition pour les installations…

Bien sûr, ceci n'est pas une ordonnance. Tout ce que je dis est critiquable. Au contraire, la critique est souvent constructive. Juste des réflexions. Je ne prétends pas avoir la vérité absolue.

Mais si je pouvais ouvrir le débat. Juste, ouvrir le débat !

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Dr Olivier Arnould, médecin généraliste retraité, remplaçant un jour par semaine à Vinca (Pyrénées-Orientales)

Source : Le Quotidien du Médecin