Besoin d’écrire sur cette double épreuve : le lymphome de mon fils et la covid
14 janvier : le diagnostic est confirmé. Mon fils de 18 ans est atteint d'une maladie de Hodgkin. Rendez-vous avec l’oncologue qui explique les traitements, les effets indésirables, le bon pronostic même si 4 zones ganglionnaires sus diaphragmatiques sont touchées. Aucun signe général. Pas de fièvre, pas d’amaigrissement, une fatigue « normale » d'un jeune qui ne dort pas assez. On sort confiant. Je réexplique 2-3 détails à mon fils, les questions qu'on se pose après coup… Sauf qu’en général, personne ne peut y répondre. C'est pratique d'avoir une maman médecin à la maison.
Quelques jours plus tard, réception du CR de consultation au cabinet, puisque je suis le médecin traitant de mon fils. Et là je lis, stade II a défavorable… défavorable, ça n’existe pas. Il y a II a, II b, III, voir IV, mais défavorable, ça n'existe pas… Défavorable, c'est pas bon… C'est dur d'être une maman médecin… Ce mot résonne sans arrêt : défavorable… défavorable…
Et c'est le début de la découverte de l'hôpital côté patient. Rendez-vous au Cecos pour un premier prélèvement. « Maman, tu crois que je vais rester stérile ? ». « Toi, tu sais, ne me mens pas ». Pas trop difficile d’être convaincante quand on est convaincue. Puis chimiothérapie bien supportée. La seule fois où il a vomi, c'est quand la chimio a débuté plus tard et qu’il a dû rester manger à l'hôpital le midi.
Je vidéoconsulte, c'est épuisant
Je fais installer tous les logiciels pour pouvoir faire de la vidéoconsultation pour pouvoir rester à la maison avec lui de temps en temps. Et l’épidémie commence. J'ai du mal à suivre tout. Ça va trop vite. Et je me soucie plus de mon fils que du reste.
Le confinement va régler assez rapidement le problème de la scolarisation. L’école vient à la maison pour tout le monde. À part le jour de chimio et le lendemain où il dort toute la journée, il suit ses cours normalement, en râlant contre les connexions qui sautent, les profs qui sont « trop nuls », Machin qui n'est pas venu au cours… Une vie « normale ».
On ne peut plus l'accompagner pendant sa cure. Il doit rester tout seul dans la chambre. Il faut rester dehors. Alors, je tourne en rond à Avicenne. Pas de cafet', un hall de réception vide. J’assiste même au passage de notre président venu féliciter les troupes. Et je vois aussi une ambulance arriver. J'apprendrai quelques semaines plus tard qu’il s’agissait d'un de mes patients, resté quatre semaines dans le coma, qui garde encore des séquelles neurologiques importantes.
Pendant ce temps, je videoconsulte. C'est épuisant. Des journées un peu plus courtes qu’au cabinet. Commencées à 9 h, finies vers 18 h. Mais une charge mentale intense. Peur de passer à côté de quelque chose. Pas évident de travailler de cette façon, sans examiner les patients, sans toute la gestuelle habituelle, les non-dits qu'on a appris à repérer au cours d’une consultation. Renouvellement, angoisse, arrêt de travail, et consultation covid, évidemment. Suspecter, diagnostiquer, expliquer, rassurer ou au contraire alerter. Vive Covidom !
Perdue dans mon monde, je ne me suis rendue compte qu' après coup que tout avait bien fonctionné grâce à mes collègues que je voudrais remercier qui avait tout organisé au cabinet et aux secrétaires qui ont permis que tout fonctionne bien. Collègue lui-même atteint du covid et dont l'épouse a frôlé le passage en réa. Je viens quand même deux matinées par semaine, dans un cabinet organisé, pour les consultations présentielles nécessaires : douleurs, problèmes gynéco, exams neuros. Et je garde quelques visites à domicile, après m’être assurée qu'il n’y avait pas de virus dans le coin, avec respect de toutes les manœuvres de protection nécessaire.
Mon fils est à sa troisième cure. Les cheveux tombent partout à la maison. Il était allé chez le coiffeur après la deuxième qui avait coupé un peu, mais qui lui avait conseillé d’attendre encore un peu avant de tout raser. Mais maintenant, plus de coiffeur ! Les salons sont fermés. Et je ne saurai pas le faire et n'aurai pas le courage de le faire non plus. Je me prépare à voir mon fils chauve. Son père est confiné à une trentaine de kilomètres.
C’est étonnant, les cheveux. Quand ma mère a eu sa chimio, je n’ai pas pu faire me faire couper les cheveux tant qu'elle a été chauve. Quand il s'est agi de mon fils, j’avais prévu d’aller chez le coiffeur me les couper très court… L’esprit humain est surprenant… mais pas de coiffeur dames non plus… donc, pas touche aux cheveux.
Mes parents ne sont pas au courant de ce qui se passe. Ma mère est en HAD dans son foyer résidentiel pour une 3° fracture du fémur et mon père est malentendant de naissance. Parler au téléphone avec lui est impossible Confinement ou pas, elle est alitée de toute façon et ne peut pas sortir. Si le virus entre dans la résidence, ce sera la catastrophe. De son côté, ça va. Elle reprend la marche, jalousée par certains autres résidents car elle, elle a droit au kiné de l' HAD… « Et pourquoi pas moi ? » a demandé une des autres résidentes. Les kinés expliquent le fonctionnement de l'HAD, mais je ne suis pas sûre que la vieille dame ait été convaincue : « oui, enfin moi aussi, j'ai besoin de mon kiné… »
L’épidémie bat son plein ici en Seine-Saint-Denis. J’apprends que deux de mes patients sont décédés. Une entrée avant la crise et qui va attraper le covid pendant son hospitalisation et en décéder, et une autre patiente. Plusieurs patients vivent un deuil ; père, beau père, mère, sœur avec l impossibilité de se recueillir en famille, d'organiser des obsèques. C'est une souffrance pour eux. J’apprendrai par une de mes patientes qui travaille à l'état civil que le taux de mortalité dans ma commune entre mars et avril a augmenté de 300 % !
Mon fils va mieux
Mon fils va bien, mais les leuco commencent à diminuer sérieusement. Je suis angoissée tous les jours à l'idée de ramener le virus à la maison malgré toutes les précautions. Puis appel de l'oncologue. Face à l'épidémie, à l'excellent résultat du petscan, en RCP, décision est prise de s'arrêter à la troisième cure et d'enchaîner directement avec la radiothérapie. La balance bénéfice/risque plaide en faveur de l'arrêt de la chimio. Contente, mais inquiète… Si les consensus disent de faire quatre cures, il y a bien une raison… Sinon, on n'en ferait que trois… Et ce petit « défavorable » qui me revient… Mais j'ai confiance dans les hématologues d'Avicenne. Donc, je ne vais pas aller les embêter avec mes angoisses
Au cabinet, le travail continue. Appel au conseil de l'ordre : puis-je faire un certificat pour coups et blessures suite à photos et videoconsultation ? Quels termes utiliser au niveau médico-légal ? Les patients ont de plus en plus de mal à supporter le confinement. Je les trouve de plus en plus angoissés. Ou est-ce moi qui n’arrive plus à gérer mes angoisses ? C'est possible.
Première consultation à Gustave Roussy. On prend un taxi conventionné qui sent bon le désinfectant, avec une housse de séparation. Je n’aurai jamais cru que cette odeur me plairait, mais elle est rassurante. Il faut faire la queue pour entrer, montrer sa convocation, masques pour ceux qui n'en ont pas, lavage des mains, dossier d'inscription aux admissions, puis secrétariat de radiothérapie… Tout le monde derrière des plexiglas avec des masques. On demande à mon fils de retirer le masque pour la photo d'identité qui servira pour le dossier de radiothérapie. Il a gardé ses cheveux. Une cure de moins, ça fait la différence… Moulage pour la radiothérapie. Et retour quelques jours plus tard pour la première séance.
Exceptionnellement, j’arrive à négocier pour être présente à sa première séance. À l'entrée de l IGR, j'explique, que malgré ses 18 ans, c'est sa première séance. On me laisse entrer avec lui. Les autres fois, il ira seul. Je ne serai pas autorisée à pénétrer dans l'hôpital.
L'avantage du confinement, c'est qu’il n’y a personne sur les routes. Le trajet du domicile à l'IGR prend 25 minutes environ, au lieu des 40 minutes habituelles. Le taxi conventionné vient tous les jours, même les jours fériés. Puis arrive le déconfinement. La radiothérapie est presque finie. Pas de radiodermite, seulement une impression d « être comme du bacon à l'intérieur ». (sic)
Des patients compréhensifs
Reprise progressive des consultations présentielles. Je continue la videoconsultation à la maison. Et j'alterne consultations présentielles et videoconsultations au cabinet pour ne pas remplir la salle d’attente. Nous avons une grande salle d'attente pour deux kinés, trois MG et un pédiatre. Les dentistes, quant à eux, n'ont pas encore repris leur activité. Les patients acceptent bien les nouvelles règles : masques, chaises à l'extérieur du cabinet. Notre salle covid reste ouverte pour les suspicions, un bureau inoccupé avec tout le matériel qui reste sur place et aéré après chaque consultation. Ils reviennent au cabinet, certains impatients, d'autres toujours très inquiets de sortir de chez eux, reculant encore les passages à l'hôpital. Je dis même à certains qu'il vaut mieux profiter du répit actuel plutôt que de différer encore des interventions car le virus va revenir.
Ce jour, on est en août. Je ne vois pas encore le retour du virus. J’attends, car il va revenir c'est sûr. Mais cette fois, ce sera différent. Mon fils va bien. Il a même eu son bac. Il entre en BTS l’année prochaine. Je pourrai vraiment être présente. À moins que… J'attends le résultat d'une biopsie pour moi… Mais là, ce serait vraiment trop !
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