Malgré la multitude d’essais thérapeutiques en cours, de plus en plus de scientifiques semblent faire le deuil d’un traitement radical contre le SARS-CoV-2. Au delà des limites méthodologiques ou organisationnelles des études, certaines particularités du virus, comme la diversité de son expression clinique et sa forte interaction avec le système immunitaire, peuvent expliquer cette évolution.
Antipaludéen, antiviraux, immuno-modulateurs, antipsychotiques, interférons… Depuis le début de l’épidémie, de très nombreuses pistes thérapeutiques sont explorées tous azimuts afin d’identifier une ou plusieurs molécules à même de lutter efficacement contre le SARS-CoV-2. Mais plus les semaines passent, plus les espoirs de voir émerger un traitement « miracle » s’amenuisent.
En témoignent les atermoiements de l’essai Discovery. Lancé en grande pompe fin mars, pour évaluer quatre stratégies thérapeutiques (remdésivir, hydroxychloroquine, lopinavir-ritonavir+/- interféron beta) dans les formes modérées à sévères de Covid-19, cet essai randomisé n’a toujours pas livré ses enseignements. Après plusieurs reports successifs, les premiers résultats avaient été annoncés par Emmanuel Macron pour le 14 mai. Mais le board d’experts indépendant qui suit l’essai en a décidé autrement. Considérant que rien de significatif ne pouvait être annoncé à ce stade, le comité de suivi a appelé à poursuivre les inclusions, alors qu’actuellement moins de 800 malades ont rejoint l’essai, pour un objectif de 3 200.
Une « épidémie de recherche » délétère
Ce verdict souligne les difficultés rencontrées par les promoteurs de l’étude Discovery – et plus largement par la communauté scientifique – pour inclure suffisamment de patients, du fait à la fois d’une coopération européenne qui patine, d’un nombre de patients éligibles de plus en plus réduit suite au confinement, mais aussi d’une dispersion des essais cliniques qui tendent à se concurrencer les uns les autres.
Auditionnée par le Sénat le 6 mai, le Pr Florence Ader (Lyon), coordinatrice pour la France de Discovery, n’a pas hésité à mettre les pieds dans le plat, estimant qu’il fallait juguler cette « épidémie de recherche ». Sur plusieurs centaines d’essais thérapeutiques en cours dans le monde, beaucoup ont « avorté dans l’œuf », a-t-elle regretté, avec souvent très peu de patients et des méthodologies insuffisamment robustes.
Dans la foulée, l’Académie nationale de médecine rappelait que l’évolution spontanée de l’infection par le SARS-CoV-2, favorable dans 85 % des cas, impose de recruter un grand nombre de participants pour démontrer l’efficacité d’un traitement.
Une maladie aux multiples facettes
Cet impératif est renforcé par le fait que l’efficacité des médicaments évalués est sans doute moindre qu’espérée initialement. « Si l’un des traitements testés dans Discovery devait révolutionner la prise en charge des patients Covid-19 modérés à sévères, l’information aurait déjà fuité », estime le Pr Bruno Lina, virologue à Lyon et co-coordinateur pour la France de l’essai Discovery, car l’on repère très vite si l’efficacité d’un bras de l’étude est bien supérieure aux autres ». À l’inverse, « plus les molécules sont partiellement efficaces, plus il faut de patients dans les essais » pour pouvoir déterminer de façon fiable si elles apportent un réel bénéfice, a rappelé le Pr Ader devant les sénateurs.
Cette difficulté à faire émerger des molécules efficaces tient aussi aux multiples facettes et à la chronologie en deux temps de l’infection par le SARS-CoV-2. « La maladie Covid-19 est une mosaïque de différentes présentations cliniques, relativement simples et bénignes dans l’immense majorité des cas, mais avec une frange significative de cas qui posent des problèmes sur le court et le plus long terme (lésions pulmonaires, syndrome de Kawasaki…) », rappelle le Pr Bruno Lina. Dès lors, tous les essais n’ont pas forcément la même finalité et telle ou telle molécule pourra se révéler plus ou moins efficace selon la situation clinique et le stade de l’infection. D’où l’importance du design des études, qui doivent tenir compte de l’intérêt spécifique des molécules en fonction du stade de l’infection et des particularités cliniques des patients infectés. « En théorie, des choix mal faits pourraient "enterrer" des molécules qui auraient pu avoir un intérêt dans le Covid-19 », souligne le Pr Lina.
Vers un traitement au cas par cas
Dans ce contexte, « les traitements que nous seront amenés à proposer ne seront pas des traitements universels. Certains médicaments seront probablement bien calibrés pour les formes très graves, d’autres pour des formes simples, juge le Pr Lina. Selon un schéma simpliste, l’infection virale débute par une phase précoce au cours de laquelle nous avons besoin d’antiviraux efficaces. Elle laisse place ensuite à une réponse immunitaire inflammatoire qui justifierait plutôt l’emploi d’immuno-modulateurs afin d’empêcher que la réponse immunitaire ne soit elle-même délétère », résume le virologue.
Loin des traitements radicaux dont peut parfois disposer l’infectiologie, la recherche semble donc s’orienter de plus en plus vers le cas par cas.
Un avis que partage le Pr Yazdan Yazdanpanah, qui coordonne le réseau REACTing de recherche sur les maladies infectieuses émergentes. « Ce ne sont pas des molécules miracle, mais des molécules d’appui qui, si elles sont prescrites au bon moment et à la bonne population, peuvent être utiles », a-t-il déclaré au sujet de Discovery.
Une meilleure compréhension des interactions hôte-pathogène indispensable
À travers ces propos, l’infectiologue rappelle aussi en filigrane que tous les essais actuels sont des études de « repositionnement » qui testent non pas des molécules développées spécifiquement pour lutter contre le SARS-CoV-2 mais des médicaments déjà existants. Et à ce jour, « aucune molécule développée spécifiquement dans le Covid-19 n’a encore fait l’objet de publication sur des essais in vitro », indique le Pr Lina.
Des criblages de molécules sont en train d’être effectués et de plus en plus de travaux portent sur l’analyse de la structure des protéines du virus, comme la protéine du spicule du virus (qui reconnaît le récepteur sur les cellules de la personne infectée), la polymérase (qui va permettre la multiplication du virus) ou encore la structure de la protéase, autre enzyme impliquée dans la réplication.
Mais pour le Pr Ader, un des enjeux majeurs de la recherche fondamentale va être de mieux comprendre l’interaction hôte-pathogène, qui comme pour le VIH « constitue le cœur du problème ». Le SARS-CoV-2 « interagit avec le système immunitaire, c’est sa cible », a-t-elle expliqué, appelant à mettre l’accent sur la recherche en immunologie. Pour l’heure, « nous en sommes encore à découvrir ce virus, à le démembrer pour en connaître tous les impacts. Une fois cette phase achevée, nous serons en mesure d’identifier chacune des cibles immunitaires touchées par ce dernier, et de prévoir les traitements spécifiques en conséquence, décrypte le Pr Ader.Car un traitement immuno-modulateur n’aura de pertinence qu’à l’issue de ce travail, lorsque nous aurons précisément défini les cibles. Il sera alors possible de commencer la phase de recherche sur les médicaments dits de seconde génération, ou molécules de haute affinité, qui concentreront leur action modulatrice sur les seuls éléments du système immunitaire attaqués par le virus ».
L’expérience des soignants, un autre levier pour optimiser les traitements
Faute de traitement dédié, l’amélioration du pronostic des patients atteints de Covid-19 passe pour le moment essentiellement par l’optimisation des traitements non spécifiques et des protocoles de soin en réanimation. En témoigne l’évolution du taux de mortalité des patients hospitalisés en réanimation, passé de 30 % à la mi-mars à 10 % début mai.
Par rapport aux premières semaines de l’épidémie, « le standard of care a été affiné et en particulier le nursing des patients, les procédures de réhydratation, mais aussi le suivi de la réaction inflammatoire et de la réponse immunitaire ou l’utilisation de la corticothérapie, souligne le Pr Bruno Lina, virologue à Lyon et co-coordinateur pour la France de l’essai Discovery. Or dans les maladies avec un processus inflammatoire intense, le timing de la prise de corticoïdes est primordial. Avec l’expérience des réanimateurs, le taux de survie a donc augmenté de manière significative. »