3 Questions à…

Daniel Lenoir, ancien directeur général de la Cnam

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Publié le 04/11/2022
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Comment a évolué le cadre conventionnel depuis sa création ?

DANIEL LENOIR : Les conventions médicales ont vu leur champ s’élargir progressivement. Les conventions nationales datent de 1971 - mais leur histoire démarre en 1945, et même encore avant avec des tentatives de convention avec la Mutualité. En 1971, le sujet principal était celui de la rémunération de l’activité médicale, en respectant les grands principes de la médecine libérale. À la fin des années 1970 intervient une préoccupation de maîtrise des dépenses, qui porte principalement sur les tarifs. C’est en partie pour cette raison qu’est créé le secteur II en 1980. Puis, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, on essaie d’intégrer la maîtrise médicalisée dans les conventions.

Une nouvelle préoccupation apparaît, avec l’émergence des premiers déserts médicaux. Un épisode fondateur est l’accord tripartite de 2002 avec l’Ordre sur les modalités de respect de l’obligation de garde, hélas supprimée ensuite. À partir de ce moment, les conventions médicales vont commencer à intégrer des mesures sur l’organisation du système de santé. Désormais, c’est révélateur, l’essentiel des objectifs fixés par le gouvernement concerne l’organisation des soins : on le voit avec les lignes directrices fixées par les deux ministres, où il n’y a d’ailleurs quasiment rien sur la maîtrise de la dépense.

N’est-ce pas compliqué pour les syndicats de défendre à la fois les intérêts de la profession et l’intérêt général ?

Pour les syndicats présents à la table des négociations, il y a toujours eu une tension entre ces deux objectifs légitimes. Le rôle d’un syndicat est de défendre les intérêts matériels et moraux des personnes qu’il représente, et notamment la rémunération. Mais les syndicats ont aussi à porter une partie de l’intérêt général, en essayant de transcender les intérêts particuliers de la profession. Cette tension permanente est difficile à gérer pour les uns et les autres.

Ce qui a changé, ce n’est pas cela, ce sont les enjeux en termes d’intérêt général et notamment celui des déserts médicaux, qui est devenu considérable. Face à cet enjeu crucial, les syndicats médicaux doivent dépasser la défense des intérêts matériels de leurs mandants. L’enjeu des déserts médicaux est devenu beaucoup plus important que celui de la maîtrise des dépenses de santé, comme à l’époque où j’étais directeur général de la Cnam.

De quel œil voyez-vous cette négociation, qui s’ouvre dans un cadre budgétaire contraint ?

La programmation de l’Ondam à 2,9 % pour la ville en 2023, conduit en fait – vu l’inflation prévue à 4,2 % par Bercy – à une diminution. Il n’y a pas besoin d’avoir fait de très longues études pour comprendre que si l’inflation est supérieure au taux de croissance de l’Ondam, ce n’est pas une augmentation mais une diminution en volume. Depuis une dizaine d’années on tournait autour d’un objectif de dépenses à 2,3 %, mais avec peu d’inflation, et qu’on arrivait à respecter (et à quel prix !). Là, c’est la première fois depuis longtemps qu’on programme un Ondam en baisse en volume. C’est une contrainte très forte, cohérente avec le programme de stabilité (sur cinq ans) envoyé à l'UE, et qui vise à limiter la croissance des dépenses publiques.

Dans ce contexte, arriver à faire tout ce qui est demandé par les ministres s’annonce comme une équation difficile. La situation est inédite. Pour y parvenir, il faudrait à la fois investir sur de nouveaux enjeux tout en faisant des économies considérables sur d’autres. Je ne sais pas si on peut y arriver, mais en tout cas cela nécessite un retour très fort de la maîtrise médicalisée.

Propos recueillis par M.F

Source : Le Quotidien du médecin