Pic d'appels au SAMU, surcroît d'activité en infectiologie

Le Covid-19 place les hôpitaux sous haute pression

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Publié le 05/03/2020
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Face à l'épidémie de coronavirus, urgentistes et infectiologues sont en première ligne. La surchauffe a gagné les SAMU et certains services dans un contexte de crise déjà inédite des hôpitaux publics.
En région parisienne, le nombre d'appels à la régulation Centre 15 a doublé

En région parisienne, le nombre d'appels à la régulation Centre 15 a doublé
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

« On est clairement dans le rouge ! » Au SAMU de l'Oise, frappé de plein fouet par le Covid-19, les équipes font face à un pic d'activité historique. « Le week-end dernier déjà, nous avons passé le cap des 1 000 dossiers de régulation par jour, on a explosé nos compteurs », alerte le Dr Thierry Ramaherison, chef du SAMU 60 basé à Beauvais.

Face à cette « avalanche », l'hôpital s'est « renforcé crescendo ». L'urgentiste a pu compter sur la mobilisation des médecins et des assistants de régulation médicale (ARM) de son service qui « n'ont pas hésité à faire des heures supplémentaires ou à revenir précipitamment de vacances pour renforcer les équipes ».

Le service a bénéficié de l'appui des secouristes (Croix Rouge, Association des sauveteurs de l'Oise, Ordre de Malte) et des élèves infirmiers. Puis s'est mise en place une « stratégie de réponse zonale » avec les départements voisins du Nord et de la Somme. Le SAMU 60 a pu transférer un certain nombre d'appels vers les SAMU voisins. Au CHU d'Amiens, les internes ont été sollicités pour prêter main-forte « sur la base du volontariat » aux équipes du SAMU. Et pour tenter de pallier la fermeture du service de réanimation et du SMUR de l'hôpital de Creil en raison de la mise en quatorzaine de personnels, Santé publique France a mis à disposition des établissements du département un médecin réanimateur.

« On verra si on tient le choc »

Malgré ce dispositif exceptionnel instauré avec une « rapidité stupéfiante », le Dr Ramaherison ne cache pas son inquiétude. « On verra dans quelques semaines si on tient encore le choc », s'interroge-t-il ouvertement. Sentiment partagé par le Pr Frédéric Adnet, patron du SAMU 93. « On tient mais on est proche de la saturation », nous confie le chef de service de l'hôpital Avicenne de Bobigny (AP-HP).

En région parisienne, le nombre d'appels à la régulation Centre 15 a doublé depuis de début de l'épidémie. Pour le Pr Adnet, l'action du SAMU permet pour l'instant, via un pré-triage efficace, d'éviter l'engorgement des urgences. Mais cette situation fragile a conduit certains responsables à réclamer « une enveloppe exceptionnelle » de gestion de crise. Olivier Véran a annoncé mardi le déblocage de « 260 millions d'euros » de crédits (mis en réserve sur l'exercice 2019) pour aider les hôpitaux.

Déprogrammer ce qui peut l'être

Dans les services d'infectiologie, où les patients suspects sont testés, le contexte est également tendu, comme au CHU de Tours où on dénombrait en début de semaine une centaine d'appels par jour dans le service de médecine interne et maladies infectieuses. « Nous avons créé un centre de prélèvement en ambulatoire pour les patients suspects, et une astreinte téléphonique 24/24 filtrée par le 15. Nous avons des réunions plusieurs fois par jour, avec les autorités sanitaires. À côté de ça, notre activité continue en maladies infectieuses, détaille le Pr Louis Bernard, chef du service. On tient, mais nous sommes sous tension. Les normes imposées sont lourdes, notamment au niveau des tenues, alors que le virus est proche de la grippe en termes de contamination. » Selon le chef de service, la situation aurait pu être mieux « anticipée » par le ministère, avec les enseignements du SRAS en 2003 et du H1N1 en 2009.

Pour le Pr Pierre Tattevin, chef du service de maladies infectieuses et réanimation médicale au CHU de Rennes, ce n'est pas tant l'afflux de patients qui embolise les services que l'organisation stricte qu'impliquent les protocoles de prise en charge. « Ce sont des patients pour lesquels il faut organiser les circuits d'arrivée à l'hôpital afin qu'ils ne contaminent personne, il faut leur donner des masques, les mettre en isolement le temps qu'on ait les résultats, il faut mettre une tenue particulière avant de rentrer dans leur chambre, énumère l'infectiologue. Tout cela prend du temps et de l'espace ». Selon ce praticien, les hôpitaux seront contraints, le moment venu, de « déprogrammer ce qui peut l'être » faute de disposer d'une « marge de manœuvre suffisante ».

L'inquiétude est d'autant plus forte que cette sur-sollicitation de l'hôpital intervient dans un contexte de mobilisation inédite des personnels. Le collectif inter-hôpitaux (CIH) presse à nouveau le gouvernement de « répondre immédiatement à ses demandes » : correctif budgétaire, revalorisation des salaires, arrêt des fermetures de lit et recrutements. « On n'avait pas besoin de ça », se désole le Dr Olivier Milleron, un des chefs de file du CIH. Il s'inquiète de la capacité de l'hôpital à faire face à l'épidémie alors que « la situation est déjà très tendue notamment aux urgences » et craint une « déprogrammation des malades non urgents ». « Pour l'instant ça tient, prévient le cardiologue de Bichat (AP-HP). L'hôpital est réactif, mais le système risque de se gripper ». 

Marie Foult et Martin Dumas Primbault

Source : Le Quotidien du médecin