LE QUOTIDIEN : Vingt ans après, la loi Kouchner a-t-elle tenu ses promesses ?
Pr DOMINIQUE LE GULUDEC : Je crois que la France a vraiment été pionnière dans la manière de donner des droits aux patients grâce au modèle de démocratie sanitaire issu de la loi de 2002. Incontestablement, cela a fait changer les mentalités. À l’époque où j’étais interne, quand un patient voulait voir son dossier médical, c’était un crime de lèse-majesté ! Aujourd’hui, c’est normal. Quand on écrit un courrier en consultation, on le dicte devant le patient et on lui envoie une copie. Les choses ont vraiment changé et tout le monde y a gagné.
Pourquoi avoir fait de la notion « d’engagement des patients » une étape du plan stratégique 2019-2024 de la HAS ?
La loi avait posé un socle mais il faut continuer à faire vivre réellement les droits des usagers au quotidien. L’engagement des patients se décline à plusieurs niveaux. C’est le sens de la recommandation que nous avons publiée en septembre 2020 car, selon nous, les bénéfices sont nombreux.
Cela permet d’abord de mieux soigner les patients qui, comprenant leur projet thérapeutique, y adhèrent mieux. C’est aussi très utile pour la formation des médecins. L’engagement des patients permet la mise en place d’une relation totalement différente avec les professionnels de santé, un peu plus équilibrée. Et à un niveau collectif, les pouvoirs publics peuvent prendre de meilleures décisions en incluant les patients dans les évaluations et la genèse des décisions.
Comment les patients participent-ils aux recommandations de bonnes pratiques à la HAS ?
Depuis le début, la HAS a fait participer les usagers dans ses commissions et dans certains groupes de travail ou de lecture. C’est aujourd’hui devenu systématique. Pour les recommandations de bonnes pratiques et les guides sur les parcours de soins, ils ont un rôle décisif. Les patients-experts ont acquis une compétence et une légitimité qui est source d’une grande richesse pour nous.
Jusqu’où cela peut-il aller par exemple ?
Récemment, les associations ont énormément participé à l’évaluation des prothèses mammaires et aux recommandations de bonnes pratiques. Et nous sommes en train de terminer ensemble des outils d’aide à la décision médicale partagée sur ce sujet. Ils vont permettre de faire comprendre à la patiente les risques et les bénéfices de chaque technique, en amont de sa discussion avec son médecin.
Les patients peuvent-ils aussi jouer un rôle dans l’évaluation ?
Oui, par exemple, pour toute procédure d’inscription de médicament ou de dispositif médical en vue du remboursement, nous faisons un appel à contribution écrite. S’agissant de l’accès précoce aux produits de santé pour des maladies rares, graves ou invalidantes, avant l’AMM, la perception du bénéfice/risque attendu par les patients est particulièrement importante. C’est pourquoi, ils sont systématiquement inclus dans les évaluations et nous sommes en train de construire des outils pour les aider.
Comment les usagers participent aujourd’hui à la certification des hôpitaux ?
Maintenant que les process de qualité ont été mis en place, dans le nouveau dispositif de certification, on s’intéresse désormais beaucoup aux résultats vus par les patients. Il y a d’ailleurs tout un chapitre dans le référentiel qui est centré sur le patient. Et dans les méthodes d’évaluation, la méthode du « patient traceur » est devenue un des outils principaux de certification. Cela consiste à suivre l’histoire d’un patient à l’hôpital tout au long de son parcours afin d’évaluer la qualité de l’ensemble des démarches.
Est-ce facile de recruter des patients pour l’ensemble de vos travaux ? N'avez-vous pas toujours les mêmes représentants ?
La loi dit que seules les associations agréées peuvent faire partie des instances. Il y a forcément des trous dans la raquette : des pathologies où il n’y a pas d’associations agréées, comme dans le cas de maladies rares, ou des représentants qui se retrouvent à cumuler des mandats. Notre déontologie impose également qu’un groupe de travail ne puisse pas comprendre de partie prenante du sujet. Donc, de fait, les exécutifs des associations ne peuvent pas participer. C’est pourquoi parfois, nous les auditionnons sans qu’ils puissent prendre part au vote.
Comment les usagers ont-ils été impliqués pendant la crise du Covid ?
Nous avons, sans arrêt, demandé l’avis des patients qui se sont mobilisés de façon incroyable notamment pour les « réponses rapides ». Nous n’avons rien fait sans eux, ni sans les professionnels de santé. Sur le Covid long, ils ont eu un rôle déterminant car, au début, les médecins ne comprenaient pas bien ces symptômes. Ce sont eux, au travers de leurs vécus, qui ont montré la variété des formes et le besoin de prise en charge de cette nouvelle pathologie.
Les acteurs de la démocratie sanitaire disent pourtant ne pas avoir été entendus pendant la crise…
Oui, c’est un fait. En 2018, nous avions proposé, dans notre rapport d’analyse prospective, d’institutionnaliser le débat public en santé : un outil activable à tout moment, lorsqu’une décision importante doit être prise. Cela nous a manqué. Ce serait vraiment nécessaire de le mettre en place pour l’avenir.
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