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Dossier

Burn out : on peut s’en libérer !

Le syndrome d’épuisement professionnel, comment s’en sortir...

Publié le 20/06/2014
Le syndrome d’épuisement professionnel, comment s’en sortir...


Le syndrome d’épuisement professionnel touche de plus en plus de médecins en France. Sujet grave, parfois tabou, le burn out n’est pourtant pas une fatalité. Des professionnels de sa prise en charge proposent des moyens très efficaces pour s’en sortir. Au-delà, il s’agit aussi pour le praticien de rompre avec l’idée de sacerdoce, de penser vacances, loisirs, famille, de réorganiser son cabinet parfois et, surtout, de ne pas hésiter à appeler à l’aide quand il en est encore temps. Analyses d’experts et témoignages de confrères qui sont passés par là.

En France, 12,6 %(1) des actifs souffrent de burn out. Parmi les 3,2 millions de Français touchés, de nombreux médecins sont concernés par cet épuisement professionnel conséquent à une surintensification de l’activité et à un surinvestissement. Des journées sans fin, un excès de stress, une immense solitude professionnelle associée à l’incapacité de déléguer, une surabondance de tâches administratives aboutissent parfois à un état de sidération totale. Et, la plupart des experts du sujet vous le diront, le manque de clairvoyance sur le caractère pathologique de leur état s’accompagne souvent, chez les praticiens concernés, d’addictions très fortes : alcool ou psychotropes que les médecins s’autoprescrivent.

La gravité de la pathologie conduit dramatiquement certains d’entre eux au suicide. « À Orléans, nous avons eu deux suicides récents et deux l’an passé à Tours », explique le Dr Martine Darchy-Gilliard, co-responsable avec le Dr Parvine Bardon de la commission « Amélioration des conditions d’exercice » à l’URPS-ML Centre, qui a lancé récemment un programme de sensibilisation au sujet auprès des médecins libéraux. « Le médecin a un déni très prolongé de son état, d’où un risque suicidaire très important », prévient ce praticien profondément investi dans la lutte contre le burn out.
 

Agir vite

[[asset:image:1391 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["Voisin\/Phanie"],"field_asset_image_description":["Vice-pr\u00e9sident de la CARMF, fondateur de l\u0027Association pour les soins aux soignants"]}]]

Le burn out n’est pourtant ni inéluctable, ni incurable, mais nécessite de réagir à temps. Comme le fait remarquer le Dr Isabelle Sauvegrain, auteure avec le psychiatre Christophe Massin de la démarche pédagogique Resolustress (2), « il faut agir dès les premiers signes du syndrome et le reconnaître comme un état nécessitant une vraie prise en charge médicale ». C’est sans doute l’aspect le plus épineux. « Pour sortir de la maladie, explique le Dr Yves Léopold (photo), vice-président de la CARMF et fondateur de l’Association pour les soins aux soignants (3), encore faut-il être capable de l’identifier et accepter que l’on est en situation de burn out. »

Souvent, les praticiens, faute de s’en remettre à un médecin traitant, tardent à diagnostiquer leur état, ce qui entraîne de longues hospitalisations pour palier le risque suicidaire. Au vu de la gravité du syndrome d’épuisement professionnel, les acteurs prenant en charge le burn out s’accordent à dire qu’un arrêt de travail d’un minimum de six mois est indispensable dès le diagnostic posé. « La première étape lorsque l’on a grillé toutes ses ressources est l’arrêt de travail, associé la plupart du temps à un traitement médical », conseille le Dr Sauvegrain. « La prise en charge rapide par un psychologue ou un psychiatre » est également essentielle, complète le Dr Bardon.

Rompre l’isolement

Pour résumer, sans l’aide d’un ou plusieurs tiers, point de salut. Se tourner vers les autres, savoir appeler au secours, rompre l’isolement est sans doute l’étape la plus difficile à franchir pour un médecin en burn out. En effet, par pudeur ou manque de temps, rares sont ceux qui ont un médecin traitant et font le choix d’être suivi par un confrère. Les associations, l’Ordre et la CARMF ont pris la mesure des enjeux et élaboré des solutions efficaces pour venir en aide aux praticiens dans la détresse.

L’Association d’Aide Professionnelle des Médecins Libéraux (4), l’association Médecins Organisation Santé (5) et l’Association Pour les Soins aux Soignants ont créé des numéros d’appel avec cellules d’écoutes anonymes et confidentielles. Conseils téléphoniques prodigués par des psychologues, consultations spécialisées permettant de poser le diagnostic du burn out et d’identifier des solutions, les associations offrent une prise en charge thérapeutique avec des moyens mutualisés.

[[asset:image:1396 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Fondateur de l\u0027association MOTS"]}]]

« Nous proposons aux praticiens qui nous contactent de faire le point sur eux-mêmes, leur travail, leur organisation, leur santé et le vécu par rapport aux patients, détaille le Dr Jean-Jacques Ormières (photo), fondateur et cheville ouvrière de l’association MOTS. Nous réalisons une évaluation globale au terme de laquelle les victimes du burn out sont accompagnées par des médecins spécialisés en ergonomie et santé au travail. » Ces derniers sont souvent issus de la médecine du travail et spécialement formés à la prise en charge du syndrome d’épuisement professionnel. « À travers une approche globale et systémique, nous analysons la situation et tentons de l’améliorer en mettant au point une dynamique personnelle d’aménagement du travail », ajoute le Dr Ormières.

Depuis sa création, MOTS est venue en aide à plus de 250 médecins ayant bénéficié des ressources multiples de l’association : psychothérapie, groupes de parole, ressources ordinales (recherche d’un remplaçant, conciliation avec des confrères en cas de conflit…), recours à des professionnels non médicaux (comptable, informaticien, juriste, avocat)… Les associations, qui œuvrent dans la plus grande confidentialité, aident également les médecins à se réorienter professionnellement, voire à se reconvertir.

Savoir si l’on veut vraiment être médecin

C’est le nerf de la guerre… Pour le Pr Eric Galam (photo), en effet, médecin coordonnateur de l’AAPML, s’il veut s’en sortir, le praticien en burn out doit être capable de se poser les bonnes questions : « Ce métier me convient-il toujours, suis-je satisfait de la façon dont je travaille, vais-je dans la bonne direction, ai-je le métabolisme qui convient, ai-je trop de travail, le temps de voir grandir mes enfants, d’avoir des loisirs ? » Pour ce professeur de médecine générale à l’université Paris-Diderot, « la médecine est un sacerdoce qui a un aspect dopant. Avec le risque de tout donner aux patients qui finissent par comprendre que l’on est toujours disponible ».

 

Ainsi, il existe un décalage entre l’exercice professionnel souhaité par les praticiens et l’activité réelle.

De nombreux spécialistes font remarquer que le problème serait en partie lié aux études de médecine. C’est le diagnostic que fait le Dr Sauvegrain : « On est investi d’une mission pour laquelle on n’a

pas forcément les épaules. Quant à la vulnérabilité du médecin, on ne l’apprend pas à la Fac ». Ce qui conduit le Dr Leopold à suggérer que les étudiants en médecine soient, dès le début de leur cursus, formés aux risques du métier afin qu’ils apprennent à ne pas se laisser entraîner jusqu’au burn out. « La conception sacerdotale du métier est un risque majeur », explique-t-il.

 

Le Dr Thevenot, vice-président de MOTS et président du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins (CDOM 31) confirme : « Dans le cursus universitaire, on n’apprend pas à baisser nos barrières, à nous tourner vers les autres pour demander de l’aide. Conséquence, en cas de mal être, on se replie sur nous-mêmes en craignant que nos problèmes ne soient dévoilés à nos confrères ou patients ». Ainsi, l’association MOTS a entrepris de mener des actions auprès des jeunes médecins pour les sensibiliser aux risques de la profession.

Recadrer son activité

Si appeler à l’aide est tout simplement vital lorsque l’on ressent les prémices du burn out, le praticien doit également très vite réfléchir à ses conditions d’exercice. Il est indispensable de recadrer son activité, de retrouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée et de maintenir fermement les barrières entre les deux. « Il faut apprendre à piloter sa vie plutôt que la vie nous pilote et modifier son rapport avec la vie et l’exercice », explique le Dr Sauvegrain. Elle prône cette maxime : « Pour une population en bonne santé, un médecin en bonne santé » et promeut celle affichée désormais dans certains cabinets : « Mon médecin j’y tiens, mon médecin, j’en prends soin ».

 

Point de vue partagé par les Drs Bardon et Darchy qui incitent les praticiens à comprendre que la vie de leurs patients passe par le bien-être de leurs médecins traitants. Or,

[[asset:image:1401 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Professeur de m\u00e9decine g\u00e9n\u00e9rale \u00e0 Paris Diderot"]}]]

expliquent-t-elles, les médecins manquent cruellement de reconnaissance, « ils sont traités comme des prestataires de service interchangeables ». Ainsi, pour sortir du burn out, « il faut arrêter d’être monomaniaque de la médecine, réinvestir les autres domaines de sa vie pour soigner correctement ses patients, rétablir un dialogue plus serein avec eux, s’occuper de soi, se reposer, ne pas culpabiliser quand on part en vacances… Car nous ne sommes pas responsables de toute la misère du monde ! ».

Mieux s’assumer

C’est pourtant ce que ressentent de nombreux médecins. N’étant pas tout-puissants, les médecins doivent accepter l’idée qu’ils peuvent se tromper, partager leurs incertitudes, travailler en partenariat avec les patients et non de façon conflictuelle. Enfin, prendre la mesure des changements intervenus au cours des ans dans l’exercice de leur fonction. Comme le fait remarquer le Pr Galam, nombre d’entre eux doivent comprendre comment mieux s’assumer et se positionner face aux patients. « J’ai le droit de gagner ma vie et je le revendique, celui de dire non et d’être intransigeant, de ne pas être maltraité et d’arrêter de travailler dans un contexte à risques pour ma santé », martèle le coordonnateur de l’AAPML qui ajoute : « C’est un problème d’identité du médecin, de positionnement philosophique face au métier pour ne plus être nié en tant que personne ».

Mieux s’organiser

Reste que le burn out survient aussi et surtout pour des raisons organisationnelles. S’il veut s’en sortir, le praticien doit faire table rase des causes qui ont mené à son épuisement professionnel. L’une d’elles, et non la moindre, le surbooking dans toutes les composantes de son activité. « Les médecins sont désorganisés, ne savent pas gérer le travail avec les paramédicaux ou les confrères, manager un secrétariat, déléguer… », reconnaît le Dr Ormières. Il leur revient de concevoir une méthodologie de travail à même de les soulager.

Cela passe, par exemple, par une association avec un autre confrère, la délégation de certaines tâches à un secrétariat, l’activation d’un répondeur téléphonique à partir d’une certaine heure, l’acceptation des consultations uniquement sur rendez-vous, la priorisation des urgences vraies, le refus des patients qui arrivent en retard, la limitation de la durée de la consultation… Tout un arsenal d’outils efficaces de gestion du cabinet, complété par la signature d’une bonne assurance prévoyance couvrant l’ensemble des risques du praticien (pour sa propre santé, la perte d’exploitation et les risques liés à l’activité médicale).

Enfin, ne sortira définitivement du burn out que le médecin ayant accepté l’idée selon laquelle, malgré tous ses efforts, il ne donnera jamais à ses patients l’éternité…

(1) Etude réalisée par le cabinet Technologia spécialisé

 

dans la prévention des risques professionnels

(2) www.resolustress.fr

(3) APSS : 0 810 00 33 33, www.apss-sante.fr

(4) AAPML : 0 826 004 580, www.aapml.fr

(5) MOTS : 0608 282 589, www.association-mots.org