Qu’est-ce que le généraliste peut mettre en place pour ne pas perdre le lien avec ses patients chroniques en cette période de baisse de fréquentation au cabinet ?
Dr Paul Frappé : D'une part, il faut rassurer les patients sur le fait que les Français qui se rendent chez le généraliste n’auront pas de surrisque d’infection. Les cabinets de médecine générale ont été aménagés en conséquence. Il est aussi nécessaire de faire la démarche d'appeler ses patients, notamment ceux souffrant d'une affection longue durée (ALD), et de vérifier que tout va bien. Appeler ses patients systématiquement n'est certes pas dans nos habitudes, car cette démarche pro-active peut parfois être vue comme « aller chercher le client ». Mais c'est nécessaire. D'un point de vue éthique, le statut de médecin traitant permet de le faire car le patient a choisi de lui confier la responsabilité de sa santé.
Quels patients nécessitent une vigilance particulière ?
Dr P. F. : Il y en a beaucoup, mais les deux profils qui viennent à l’esprit sont les patients souffrant d'une ALD cardiovasculaire ou d'une ALD liée à la santé mentale. Parce que le Covid a des accointances avec la sphère cardiovasculaire et parce que les effets du confinement sur les patients psy sont importants. Mais globalement, toutes les ALD sont à surveiller.
La baisse d’activité des autres spécialistes libéraux pendant le confinement modifie-t-elle aussi la pratique des généralistes ?
Dr P. F. : Beaucoup d’autres spécialistes ont fermé leur cabinet mais au contraire sont contents, lorsqu’il y a des besoins de recours, de recevoir des patients. Ils sont plutôt disponibles, voire parfois plus que d'habitude. Cela ne peut pas être le cas pour tous les adressages mais c'est encore possible pour certaines choses.
Devons-nous nous attendre à une vague de patients lourds arrivant dans les cabinets de médecine générale après l'épidémie ?
Dr P. F. : C’est la grande inconnue. Il faut s’y préparer, c’est certain. On observe bien, dans les comportements de santé du quotidien, qu'il y a un certain nombre de choses qu’on était habitué à faire et qu'on ne fait plus en ce moment. Peut-être que la demande de soins va se transformer et que nous observerons un contrecoup lié au déconfinement, peut-être pas du tout et cela va revenir à la normale. Nous ne pouvons nous calquer sur aucune situation équivalente.
Certains accusent les généralistes de faire beaucoup d’actes de « bobologie » et les patients d’être trop consuméristes de soins. Cette tendance va-t-elle s’inverser après la crise ?
Dr P. F. : Je pense plutôt l’inverse. Au contraire, cela va peut-être rappeler que la médecine générale est la spécialité qui a le plus d’impact sur la mortalité et que nous ne servons pas qu'à mettre un pansement sur le bout d'un doigt. Nous ne réalisons pas des actes ultra-techniques par définition mais cette crise pourrait révéler l’utilité des actes du quotidien. J'espère toutefois que le confinement montrera une nouvelle fois qu'on peut se débarrasser de certaines tâches administratives qui ne sauvent pas des vies, comme la rédaction de certificats.
Les généralistes ont adopté massivement la téléconsultation pour les patients Covid+, mais aussi pour le suivi des non-Covid. Cela va-t-il perdurer ?
Dr P. F. : Je pense que cela fera partie des électrochocs de la crise. Il y aura un avant et un après Covid pour la téléconsultation. Les généralistes prennent leurs marques. Mais il va falloir déterminer les indications pertinentes de la téléconsultation, sa sémiologie, et petit à petit arriver à cerner ce qui peut se faire facilement ou non à distance. Probablement que chaque médecin aura trouvé sa solution technique et l’ajoutera à son arsenal de services.
Que va-t-il rester de cette crise en médecine générale ?
Dr P. F. : Cette crise fera partie de l’histoire de notre discipline et va forcément imprégner notre spécialité. On parlait beaucoup jusqu'à présent de médecine centrée patient, peut-être que nous parlerons davantage de médecine centrée communauté à l'avenir. En étant trop centrés patient, nous avons peut-être favorisé un individualisme sanitaire. Le généraliste se sentait un peu démuni par rapport à cela car il n'est ni un médecin de santé publique, ni du travail. Mais il faudra arriver à faire émerger la conscience collective sanitaire qu'on retrouve dans ces spécialités. On peut aussi imaginer que ces événements vont marquer la formation en médecine générale. Lorsque nous aborderons certains risques sanitaires, les enseignements seront moins abstraits et pour de longues années. On se dira : oui, cela peut arriver.
* FHP, UNPS, Unicancer et FEHAP
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