LE QUOTIDIEN : Comment jugez-vous le cru 2020, dans une période exceptionnelle de crise sanitaire ?
THOMAS FATÔME : Très honnêtement, cet exercice est extrêmement difficile à lire parce que le thermomètre que constitue la ROSP pour mesurer l’évolution des pratiques médicales a été largement déréglé, à la fois par l’effet du premier confinement et par celui de l’épidémie elle-même ! Il est impossible de relier la plupart des résultats 2020 avec des évolutions antérieures. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons travaillé avec les syndicats pour ajuster à la marge les rémunérations versées.
Vous ne pouvez donc pas tirer d’enseignements sur l’évolution des pratiques médicales ?
Encore une fois, c’est une année exceptionnelle qui rend très difficile de faire la part des choses entre ce qui relève d’une action individuelle et collective des médecins libéraux versus ce qui relève de la pandémie. Prenons deux exemples : les résultats 2020 sur les antibiotiques sont excellents. Mais ce n’est pas enlever un quelconque mérite aux médecins que de dire que c’est lié en partie à la baisse massive d’activité des généralistes lors du premier confinement et au fait qu’on a subi beaucoup moins les pathologies « habituelles » qui justifiaient l’antibiothérapie.
Dans l’autre sens, peut-on reprocher aux médecins d’avoir des indicateurs qui vont dans la mauvaise direction sur le dépistage du cancer colorectal alors qu’on sait que le confinement a très fortement perturbé ces pratiques de dépistage au premier semestre ? Je ne le pense pas.
Quels sont les indicateurs ROSP qui ont été le plus percutés par la crise ?
C’est surtout le premier confinement qui a eu un impact considérable avec des reports massifs de soins et l’annulation d’activités programmées non urgentes. Cela a eu un impact négatif direct par exemple sur les dosages biologiques et les actes de dépistage notamment pour les patients diabétiques. C’est aussi le cas pour la surveillance des patients sous traitements antivitamine K. On sait qu’il y a eu à certaines périodes une rupture d’activité médicale et de prescriptions d’examens !
Sur les prescriptions de psychotropes et d’anxiolytiques, le groupement d’intérêt scientifique EPI-PHARE (ANSM – CNAM) a bien documenté l’effet direct de la crise du sanitaire et du confinement.
Tous les dépistages des cancers sont mal orientés…
Oui, mais sur le dépistage du cancer colorectal, on constate un rattrapage partiel au deuxième semestre par rapport à la chute vertigineuse du premier.
Comment expliquez-vous la moindre prescription dans le répertoire des génériques ?
Certains résultats nous laissent perplexes car les années précédentes étaient bonnes sur ce plan. On constate une forme de rechute sur l’indice global de prescription dans le répertoire, qu’on ne sait pas encore analyser à ce stade. Nous travaillons avec les épidémiologistes pour obtenir des éléments de réponse.
Pour calculer les rémunérations, comment avez-vous neutralisé les effets négatifs de la crise sanitaire ?
On a beaucoup travaillé avec les représentants syndicaux. Nous avons procédé à des ajustements limités, qui n’ont pas pour effet de déstructurer la ROSP et qui tiennent compte du contexte exceptionnel. Pour les médecins traitants de l’adulte, nous avons finalement appliqué un coefficient majorateur de +2 % pour neutraliser l’effet des indicateurs impactés par la crise et prendre en compte l’évolution favorable de la patientèle. Ce coefficient est de +3 % pour les médecins traitants de l’enfant.
Par ailleurs, nous avons appliqué une « clause de sauvegarde » pour les gastro-entérologues et les cardiologues, afin d’assurer le maintien de leur rémunération en 2020, par rapport à 2019. Ces corrections sont simples et lisibles et n’engagent pas l’avenir de la ROSP dans un sens ou dans un autre.
La ROSP reste-t-elle un levier d’amélioration des pratiques ?
C’est un outil important dans nos relations conventionnelles, permettant la diversification des modes de rémunération des médecins, en lien avec des objectifs de santé publique. La ROSP garde pleinement son sens et permet de favoriser l’évolution des pratiques médicales. Mais dans le prochain grand rendez-vous conventionnel de 2022-2023, nous devrons faire avec les médecins un bilan approfondi du dispositif, de sa lisibilité et de son impact sur les pratiques et la santé publique. Je serai à l’écoute de la profession pour voir comment le faire évoluer. Il s’est beaucoup enrichi, c’est logique, mais peut-être s’est-il trop complexifié. C’est un diagnostic à faire en prenant du recul.
Faut-il étendre la ROSP ? La réformer ?
Sur l’extension, je n’ai pas identifié de spécialités immédiates mais je suis ouvert à des propositions des représentants concernés et nous approfondirons l’intérêt de cette démarche dans les mois qui viennent.
Sur l’avenir de la ROSP, je ne souhaite ni la supprimer – comme certains syndicats – ni la transformer en des majorations supplémentaires. Mais l’outil doit certainement évoluer pour garantir, voire renforcer son efficacité dans le temps.
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