DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
PETIT JOUEUR, l’obstétricien libéral français ? S’il s’assure pour 30 000 euros en moyenne, son homologue américain, lui, débourse jusqu’à 200 000 dollars (143 200 euros). Le chirurgien orthopédique aussi.
Les revenus, il est vrai, ne sont pas comparables. La pression médico-légale, non plus. Pas un praticien new-yorkais qui n’évoque spontanément le sujet. Ainsi du Dr Ronald J. Reiss. Son plus grand plaisir : accoucher les femmes. Il lui faut mettre au monde trente bébés rien que pour payer sa prime d’assurance annuelle. S’ajoutent les charges, les impôts. Le Dr Reiss ne se voit pas renoncer, il compense en multipliant les actes. Et touche du bois pour qu’aucun procès ne vienne stopper net sa passion. Les tribunaux demandent parfois plusieurs millions de dollars pour un accident à la naissance.
La médecine générale n’est pas épargnée. « Je paye mon assurance 25 000 dollars [18 000 euros], confie un généraliste basé à Manhattan. Tous les jours, on pense au risque de procès. En 35 ans, j’ai été mis en cause une fois. C’est peu, mais je n’hésite pas à transférer à l’hôpital les patients qui m’apparaissent litigieux. Quand on me dit : " Tel docteur est un escroc, il m’a fait une opération inutile ", j’en déduis que le terrain est miné, et je réoriente. Poliment, car l’abandon de patient est interdit. » Face à la judiciarisation croissante, la médecine se fait défensive. Les examens complémentaires ? Un réflexe : « Quand un patient vient deux fois de suite pour un mal de tête, on est tenu de prescrire un scanner. Une règle édictée par les avocats. » Le dossier patient est épais comme un livre. « On compile tout, reprend ce généraliste de Manhattan. Les interrogatoires médicaux, la photocopie de chaque ordonnance et de tous les conseils oraux, la feuille signée par le patient en fin de consultation, où celui-ci confirme avoir compris ce qu’on lui a dit. »
« Le paradis des assureurs et des avocats ».
Malgré ces précautions, le médecin n’est pas à l’abri d’une poursuite. Pas à l’abri, non plus, d’une rupture de son contrat d’assurance. « Les patients américains craignent de perdre leur couverture santé après un pépin de santé. Les médecins craignent de perdre leur assurance après une mise en cause, même injustifiée. Les États-Unis, c’est le paradis des assureurs et des avocats. Le gouvernement Obama a refusé de s’attaquer à ce problème. C’est bien dommage », regrette le généraliste, qui a accepté l’interview sous couvert d’anonymat.
La pression est particulièrement forte au bloc opératoire. Le récit du Dr Arthur Atchabahian, anesthésiste-réanimateur français en poste à l’hôpital Saint-Vincent, à New York : « Je n’ai pas de procès en cours, mais j’y pense tout le temps. Aux États-Unis, les avocats se payent sur les indemnités versées aux victimes. Puisque ça ne leur coûte rien, les gens sont procéduriers de façon intéressée. Si je vois arriver un avocat comme patient, je vais redoubler de vigilance. »
La « check list » opératoire, obligatoire en France depuis le 1er janvier 2010, est appliquée aux États-Unis depuis cinq ans. Le chirurgien doit marquer ses initiales sur le côté à opérer. L’anesthésiste signe une feuille avec l’identité du patient et l’organe concerné. La FMC est obligatoire aux États-Unis, pas l’évaluation des pratiques professionnelles. Les classements sont néanmoins entrés dans les mœurs. De façon individualisée. Ainsi, un magazine new yorkais publie chaque année son classement des « best doctors ». Le département de la santé de l’État de New York, de manière tout à fait officielle, publie le taux de mortalité par chirurgien cardiaque sur un site accessible à tous. Dans certains hôpitaux, les médecins se notent entre eux ; une partie de leurs revenus dépend de leur « professionnalisme ». Le Dr Atchabahian redoute la prochaine étape : « Des assureurs parlent de rémunérer les médecins en fonction du degré de satisfaction des patients. » La porte ouverte à de possibles dérives. Et une preuve supplémentaire que le lobby des assureurs est bien plus puissant que le lobby médical.
cabochon, cabochon !!! DEMAIN, LA FIN DE NOTRE FEUILLETON AVEC L’ANALYSE DE L’HISTORIEN ANDRÉ KASPI
Article précédent
Plongée dans le système de santé américain
Article suivant
Salariés mais sans couverture
Les médecins new yorkais ont peur de l’avenir
Plongée dans le système de santé américain
La médecine américaine sur la défensive
Salariés mais sans couverture
André Kaspi : « Abandonner serait une défaite considérable »
Un siècle de tentatives avortées
« On ne peut pas toujours donner les soins nécessaires »
Des camions mobiles dans les quartiers chauds
Le Droit & Vous
Les médecins retraités prescripteurs ont-ils un numéro d'assurance-maladie ?
Le Droit & Vous
Le Conseil de l'Ordre peut-il empêcher un médecin retraité d'exercer après 10 ans d'inactivité ?
Le Droit & Vous
Un hôpital peut-il refuser l'admission d'un patient pour soins psychiatriques sans consentement ?
Le Droit & Vous
Peut-on envoyer à un patient son dossier médical par courrier électronique ?