Aujourd'hui, les vocations professionnelles d’aides-soignants ou d’infirmiers en Ehpad se raréfient sévèrement alors même que le nombre de personnes âgées en situation de perte d’autonomie augmente. Le paradoxe est que ce n’est pas le grand-âge, ni la dépendance des personnes qui expliquent la perte d’attractivité des métiers exercés en Ehpad. Ce n’est pas non plus la perception collective dominante, qui voit, avec méfiance et noirceur, ces établissements. Ce qui grippe, c’est l’insuffisance des effectifs au service des personnes âgées. Non seulement la proportion de résidents ayant un degré élevé de dépendance est majoritaire, mais, parallèlement, les exigences formelles et probantes de qualité à livrer ont augmenté. D’un côté, le temps d’accompagnement nécessaire pour un résident augmente et, de l’autre, le temps de disponibilité du professionnel est de plus en plus préempté par des tâches qui l’éloignent de ce même résident.
Quelle incidence cet appauvrissement de la relation d’aide a-t-il sur les professionnels ? Ces situations répétées et durables les insatisfont profondément, les épuisent et finissent par altérer leur intégrité physique et éthique. Et pendant que les professionnels se livrent à la course effrénée de leurs journées de travail, les résidents assistent, désolés, au spectacle. Ils apprécieraient de passer davantage de temps avec les membres de l’équipe ! C’est précisément là, dans ces « rendez-vous humains manqués » que se loge la planche de salut des Ehpad. Il leur faut créer les conditions d’une réciprocité relationnelle omniprésente entre les résidents et les professionnels. S’ils se « rencontrent » réellement, confiance et solidarité naîtront. Le résident sera mieux accompagné et le professionnel aura la satisfaction du travail accompli. Comme en témoigne un assistant de vie sociale : « Quand j'ai commencé à jouer au scrabble avec Madame G., c'était pour qu'elle puisse se changer les idées car des fois elle est très déprimée ; ensuite c'est devenu très agréable de jouer avec elle car plein d'autres personnes sont venues jouer aussi avec nous. Ça permet de faire connaissance en même temps, ça leur fait du bien pour la mémoire et moi je suis très content de les voir jouer ensemble. Je prends ce petit moment de détente pendant que les résidents font la petite sieste et ça stimule tout le monde ».
Voilà 20 ans que les Ehpad existent. Le moment est venu de leur attribuer les moyens pour qu’ils accentuent la force de leur vie sociale. Il s’agit d’un terrain de vie bonne pour les résidents et une occasion de coopérations heureuses avec les familles. Il s’agit aussi de former et d’encourager les professionnels à devenir des acteurs créateurs de liens humains.
L’urgence est donc d’inverser le cycle périlleux actuel par lequel les professionnels, faute de soutiens, faute de temps, faute d’encadrement, se détournent des métiers du grand âge. Il faut réinventer une relation d’accompagnement sereine, respectueuse, évolutive, sertie de confiance et de liens d’humanité dans ces résidences médicalisées, permettant aux personnes âgées aidées et aux professionnels aidants de vivre bien ensemble.
Pour ça il est nécessaire de descendre de l’escabeau, en nous mettant à hauteur des femmes et des hommes qui sont en présence les uns des autres dans les résidences. Mesdames et Messieurs les décideurs, enrichissez l’ADN des EHPAD d’une grosse dose de vie sociale, pour qu’y survienne l’échange (et non pas que sur la durée des toilettes), l’ouverture sur le monde (et non pas que la sécurisation des locaux), la volonté farouche de faire plaisir (et non pas que la prise en compte des capacités préservées), la création d’une ambiance de vie (et non pas que la mise au point d’un projet d’établissement) !
Bref de l’humain pour sauver le soin ! C’est le sauvetage du système qui en dépend.
Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans « Le Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à aurelie.dureuil@gpsante.fr
Cachez cette femme que je ne saurais voir
Appendicite et antibiotiques
La « foire à la saucisse » vraiment ?
Éditorial
Cap sur la « consultation » infirmière