Pourquoi la loi Claeys-Leonetti est-elle insuffisante ?
Pr Jean-Louis Touraine : Cette loi a montré qu’elle ne pouvait s’appliquer qu’à un nombre limité de cas. Lorsqu’un malade est dans ses dernières heures et que sa souffrance n’est pas calmée, une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMJD) peut tout à fait être appropriée. Mais ce n’est pas le cas de la grande majorité des situations. Un malade qui se trouve en phase d’agonie ne demande jamais à être endormi car cela le prive de toute relation avec ses proches. Il réclame qu’on le soulage avec des médicaments ou qu’on mette un terme à sa vie si sa souffrance est trop grande. La SPCMJD prévoit l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation du malade. Ainsi, progressivement, le malade va se dégrader et créer une insuffisance rénale aiguë qui va provoquer la mort. Au lieu d’être immédiate, la mort est différée et, avec l’imprévisibilité du pronostic, cela peut durer jusqu’à dix jours sans que le malade puisse communiquer avec ses proches. C’est proprement insupportable et c’est pour cette raison que la loi est perçue comme inapplicable dans la majorité des cas. Il faut combler ces lacunes.
Avant de légiférer sur une autre loi, certains réclament plus de moyens pour développer les soins palliatifs, qu’en pensez-vous ?
Pr J.-L. T. : La France doit être le seul pays au monde qui veut opposer soins palliatifs et aide active à mourir. En Belgique, l’aide active à mourir est un soin palliatif. C’est le dernier des soins, le soin ultime. En France, les soins palliatifs ont été initialement développés par un groupe de personnes qui, pour des raisons confessionnelles, ont voulu opposer soins palliatifs et aide active à mourir. Au début, les soignants ont été sélectionnés puis formés dans l’idée qu’il fallait absolument convaincre les malades de ne pas solliciter l’aide active à mourir. Les deux sont pourtant essentiels. Il n’y a pas lieu de prioriser les soins palliatifs plutôt que l’ouverture du droit à recourir à une aide active à mourir. À l’inverse, il serait tout aussi absurde de prioriser l’aide active à mourir avant de développer les soins palliatifs. L’un ne va pas sans l’autre. D’ailleurs, la décision ministérielle de faire un cinquième plan de soins palliatifs est à saluer. Mais le défi est grand, il faudrait qu’il fasse vraiment mieux que les quatre plans précédents car, aujourd’hui, seul un quart des besoins en soins palliatifs sont satisfaits.
Quelle serait la procédure pour recourir à une aide active à mourir ?
Pr J.-L. T. : Nous avons prévu que la demande soit étudiée par un collège de médecins composé de trois médecins, dont un spécialiste de la pathologie qui puisse affirmer que le malade est en phase terminale et donc que sa demande est justifiée. Le médecin, dans toute cette démarche, validera l’état de fin de vie et réalisera la demande du malade. Tout comme les soins palliatifs, cette aide active à mourir pourra être dispensée par le médecin traitant. Dans la proposition de loi, la mort par assistance sera réputée naturelle. Il est aussi inscrit que tous les soignants ont le droit à la clause de conscience. Les professionnels de santé qui ne souhaiteraient pas concourir à cet acte pourront faire valoir cette clause et transmettre le dossier à un de leurs confrères apte à répondre à la demande du malade.
L’obstruction parlementaire n’ayant pas permis d’examiner le texte dans son entièreté, qu’espérez-vous maintenant ?
Pr J.-L. T. : En commission des Affaires sociales, l’ensemble de la proposition de loi a été travaillé, amendé et voté. Le 8 avril, en séance plénière, l’article 1er – le plus important – de cette loi a été adopté à une large majorité de députés (83 %). Nous avons demandé au gouvernement de réinscrire l’examen de la loi à l’agenda parlementaire pour examiner la totalité des articles avant la fin du mandat. En effet, tous ces députés, comme une très forte proportion des Français, ne comprendraient pas une nouvelle procrastination. Au moment où nous sommes durement frappés par le Covid, nos concitoyens exigent deux choses : la protection des vivants (grâce à la vaccination notamment) et l’humanisation de l’agonie (par cette loi). La pandémie a révélé le caractère impérieux d’une amélioration des conditions de la fin de vie en France.
Pr Jean-Louis Touraine
« Le Covid a montré le caractère impérieux d’améliorer la fin de vie en France »
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Publié le 03/05/2021
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Le Pr Jean-Louis Touraine, député LREM du Rhône, est président du groupe d’études « fin de vie » à l’Assemblée nationale. Il est à l’origine de propositions de lois renforçant les droits des personnes en fin de vie. Il défend le texte d’Olivier Falorni, fusion de plusieurs textes, qui ouvre l’accès à l’assistance médicalisée active à mourir.

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Source : lequotidiendumedecin.fr
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