CONTRIBUTION - Avec 33 000 décès par an en France, le cancer du poumon est la première cause de mortalité par cancer en France, devant le cancer du sein, du colon et de la prostate. Pourquoi ? Parce que, malgré les progrès des traitements, cette maladie est souvent à un stade déjà trop avancé lorsque les patients, au moment où ils ressentent les premiers symptômes, viennent consulter. Or le dépistage par scanner offre la possibilité d’une détection en amont, à un stade débutant, silencieux cliniquement, permettant un traitement chirurgical évitant une issue fatale. En 2021, la démonstration d’une réduction de mortalité grâce au dépistage est confirmée par plusieurs études européennes, et il a été estimé qu’un dépistage organisé sur l’ensemble du territoire national pourrait permettre de sauver jusqu’à 7 400 vies par an (Gendarme et al. Rev Mal Respir 2017).
Cette évidence scientifique rend assez incompréhensible l’avis rendu par l’Académie Nationale de Médecine, adopté en séance le 26 janvier 2021. Celle-ci considère que le dépistage du cancer du poumon par scanner reste actuellement non justifié, et que l’avis négatif rendu par la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2016 reste d’actualité.
Cette position va à l’encontre de celles de deux sociétés savantes : la Société Européenne de Pathologie Respiratoire (ERS, European Respiratory Society) et la Société Européenne de Radiologie (ESR, European Society of Radiology) (Kauczor, European Radiology 2019) qui œuvrent toutes deux pour l’implémentation en Europe d’un dépistage du cancer du poumon chez les sujets à risque, fumeurs ou ex-fumeurs à partir de 50 ans.
En 2016, la Haute Autorité de Santé (HAS) appuyait son argumentaire sur deux éléments principaux. D’abord, elle dénonçait un taux de dépistages faussement positifs trop élevé, atteignant 24 % selon l’étude américaine NLST (Aberle, New England Journal of Medicine 2011). Or, depuis, l’évolution des connaissances et la stratégie adoptée par les études européennes permettent désormais de limiter ces erreurs de dépistage à 1,2 % seulement, d’après l’étude NELSON (De Koning, New England Journal of Medicine 2020).
L’autre argument avancé était que seule l’étude NLST démontrait à l’époque un bénéfice du dépistage, au contraire d’essais européens de plus faible effectif. Or les résultats à dix ans de ces essais, publiés depuis, ont confirmé l’efficacité du dépistage, avec une réduction de 39 % de la mortalité par cancer du poumon dans l’étude MILD (Pastorino, Annals of Oncology 2019).
Les arguments de l’Académie nous semblent non recevables
Ces deux arguments sont donc mis à mal par les données publiées ces deux dernières années. Les autres arguments avancés aujourd’hui par l’Académie pour réfuter la mise en place d’une politique de dépistage du cancer du poumon ne nous semblent pas plus recevables.
Dans son premier paragraphe, l’Académie — par des hypothèses allant à l’encontre de données observées — suppose que la rapidité d’évolution clinique rendrait le dépistage peu rentable et que la proportion de cancer à phase de latence longue serait faible. Ceci serait exact si, dans les études, on observait un nombre élevé de cancers d’intervalle, c’est-à-dire apparaissant entre deux dépistages annuels. La préoccupation est plutôt inverse, à savoir un risque de « sur-diagnostic » de formes indolentes de cancers, mais que l’on sait désormais mieux identifier et gérer. Les données de l’étude MILD permettent de valider un rythme de dépistage tous les deux ans plutôt qu’annuel, tandis que l’étude NELSON montre qu’un intervalle de 2 ans et demi fait apparaître davantage de cancers d’intervalle. Considérer que la question du rythme de dépistage est non résolue est donc inexact.
La dangerosité de l’irradiation est également soulevée par l’Académie. Pourtant, aucune étude n’a à ce jour démontré d’effet observé de cancérogénèse induite par la répétition de scanners dans des populations adultes, notamment chez les patients transplantés qui ont pourtant des scanners thoraciques très répétés. Par ailleurs, les doses délivrées actuellement sont bien inférieures à celles des essais, et se rapprochent de la dose d’une simple radiographie du thorax face et profil. La question de l’irradiation dans une population à haut risque de cancer pulmonaire sélectionnée sur sa consommation de tabac est donc une fausse problématique.
Les critères de dépistage positif ont fait l’objet d’un consensus Européen (EUPS ; European Position statement, Oudkerk, Journal of Thoracic Oncology 2017) à la suite d’une analyse des données de l’étude NELSON. Il est donc inexact d’avancer qu’il n’est pas possible « de donner des règles précises d’un dépistage ».
Opposer sevrage et dépistage est stérile
À propos de tabac, là encore l’Académie nous semble faire fausse route. Certes la consommation croissante de tabac a fait exploser le nombre de cancers du poumon, y compris chez les femmes, alors que cette maladie n’était qu’exceptionnelle au XIXe siècle. Qui sait que depuis qu’elles se sont mises à fumer, les femmes meurent davantage de cancer du poumon que du cancer du sein ? Mais conditionner, comme le fait l’Académie, le dépistage à la réalisation d’un sevrage tabagique apparaît aussi irréaliste que peu éthique, du fait de l’inégalité vis-à-vis de la dépendance au tabac, très forte chez certains. Ce raisonnement procède, en outre, d’une rhétorique assez malsaine visant à rendre les malades responsables de leur addiction et in fine de leur cancer. La participation au dépistage peut en revanche être un moment favorable pour déclencher une prise de conscience des dangers du tabac et l’occasion d’engager une démarche de sevrage.
Opposer dépistage et sevrage tabagique apparaît comme une démarche stérile puisque l’arrêt du tabac ne se décrète pas, comme le savent bien les pouvoirs publics. Il n’est donc pas exact d’affirmer que le sevrage tabagique est la « seule solution qui permettrait de réduire la mortalité globale des fumeurs ». Combiner sevrage et dépistage est un moyen bien plus réaliste et efficace pour réduire la mortalité dans des délais raisonnables. Enfin, les campagnes de dépistage peuvent être l’occasion d’un vrai changement de regard sur le tabagisme, qu’il faut considérer comme une pathologie, celle de l’addiction au tabac, et non plus comme un mode de vie.
Une étude pilote capitale dans quatre villes françaises
On peut en revanche être en accord sur un point avec l’Académie, à savoir qu’il est prématuré d’envisager un dépistage en population générale avant que ne soient réalisées des études d’implémentation. Si les programmes de formation au dépistage des radiologues sont prêts, tant en France qu’au niveau européen, d’autres étapes sont nécessaires. Il faut, en effet, valider les modalités de lecture des scanners et évaluer le rôle de l’intelligence artificielle, analyser les meilleures stratégies d’invitation au dépistage, mesurer l’impact psychologique de ce dépistage, son influence sur le sevrage tabagique, et calculer les coûts induits.
Ce sont justement les objectifs de l’étude pilote CASCADE, cofinancée par le Ministère de la Santé et l’Institut National du Cancer (INCa) dans le cadre de son programme de réduction et de lutte contre le tabagisme. Cette étude d’implémentation a pour originalité d’être réalisée auprès de femmes, pour lesquelles on manque de données, alors que selon les études NELSON (Belgique et Pays Bas) et LUSI (Allemagne) cette population pourrait bénéficier plus encore du dépistage que les hommes. CASCADE évaluera aussi l’impact en termes de détection des autres pathologies liées au tabac, qu’il s’agisse de maladie coronaire, d’emphysème ou d’ostéoporose, la population féminine cible étant âgée de 50 à 74 ans. Cette étude d’implémentation devrait débuter courant 2021 dans quatre villes françaises : Paris, Rennes, Béthune et Grenoble. Elle sera capitale pour confirmer que les réticences au dépistage ne sont plus justifiables.
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