LE QUOTIDIEN : Un bon investissement en santé, c’est quoi ?
PR JEAN-YVES BLAY : C’est un investissement qui nous permet de mieux réaliser notre mission de soin. Dans un monde rêvé – mais pas si utopique –, c’est aussi un investissement qui réduit les coûts de prise en charge, qui génère des économies sur la consommation de soins parce qu’il cible la prévention. Les patients bien traités qui ne rechutent pas, ce sont des patients qui coûtent moins cher. Je suis intimement convaincu que la vraie qualité en santé est peu onéreuse. Comme disent les Anglo-Saxons, quality is cheaper.
Dans votre spécialité, la cancérologie, quels sont les freins à l’investissement ?
La réalité économique nous oblige à maîtriser les dépenses de santé, ce qui peut représenter un frein car cela a un impact sur l’investissement, qui devient alors un poste différé. Mais on ne devrait pas réfléchir de la sorte. À vrai dire, on ne se poserait même pas la question de la maîtrise des coûts si la France était dotée d’un bon système d’évaluation. Pourquoi ? Car si c’était le cas, en présence d’un programme de recherche abscons, on arrêterait la machine immédiatement ! Je ne dis pas que l’investissement dans la santé n’est pas légitime, loin s’en faut. Mais le manque d’une évaluation plus rigoureuse est le frein principal à l’investissement en cancérologie.
Après des états généraux et trois plans, la cancérologie fait l’objet d’une stratégie décennale avec un premier budget de 1,7 milliard d’euros pour 2021-2025. Est-ce en adéquation avec les besoins ?
Attention ! Ce genre de grands plans nationaux et l’investissement sont deux choses différentes. Les premiers servent des objectifs généraux, comme le développement de programmes de recherche ou d’organisation de prises en charge qui n’ont rien à voir, en volume financier, avec l’enveloppe que devrait avoir un établissement pour investir par exemple dans une aile supplémentaire ou une machine de radiothérapie. La valeur de ces plans n’est pas pécuniaire, elle est médiatique. Ils sont utiles car ils montrent une ambition et un objectif politiques, ce qui est toujours bon à prendre mais ne peut pas être considéré comme une source d’investissement.
La France a-t-elle les moyens de ses ambitions ?
Dans ma spécialité, la France est l’un des meilleurs pays au monde en termes de qualité de praticiens et de soignants. Nous avons les cerveaux, la production scientifique suit. Cela dit, le contexte économique contraint nous impose d’être audacieux et de s’affranchir des boulets que nous nous sommes accrochés au pied.
Au niveau européen, je pense aux délais d’activation des études et d’approbation des médicaments ainsi qu’à l’IVDR (in vitro diagnostic regulation), franchement inadéquate. En France, on empile ! C’est notre spécialité et c’est dommage. Nous avons les moyens de nos ambitions mais nous manquons de rigueur. Corrigeons le tir, soyons plus efficaces et arrêtons de distribuer l’argent à tire-larigot. Et, de grâce, arrêtons d’aller voler des médecins dans des pays qui en ont besoin. Ouvrons les vannes de la formation à nos gamins. L’investissement, c’est l’humain ! Si on veut être à la mesure de nos ambitions, formons davantage.
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