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Dossier

JESFC

Cœur et Covid-19, les cardios démêlent le vrai du faux

Par Dr Maia Bovard Gouffrant - Publié le 05/02/2021
Cœur et Covid-19, les cardios démêlent le vrai du faux


PASIEKA/SPL/PHANIE

Le récent congrès de la Société française de cardiologie a permis de faire le point sur les inter­actions entre SARS-CoV-2 et pathologies cardiovasculaires. L’occasion notamment de rassurer quant à l’impact des inhibiteurs du système rénine-angiotensine et de l’insuline sur le Covid-19, mais aussi d’appeler à la mesure dans les traitements anti-thrombotiques prophylactiques.

Parmi tant d’autres questionnements, la pandémie de Covid-19 a soulevé plusieurs interrogations autour des interactions potentielles entre certaines thérapeutiques cardio­vasculaires et l’infection à SARS-CoV-2. Les diverses sessions de la version digitale des JESFC (Journées européennes de la Société française de cardiologie) se sont montrées plutôt rassurantes tout en alertant sur la révision à la baisse des critères de qualité de certaines études, dont les résultats prêtent parfois à caution. « On a vécu une période très particulière avec le “biais” Covid, à l’origine de publications dont les standards méthodologiques atteignaient une faiblesse jamais observée », vitupère le Pr Atul Pathak (Monaco), pointant des dérives aussi bien pour les études menées sur les traitements du Covid que pour les risques supposés liés à certains médicaments CV sur des formes graves de Covid.

Les inhibiteurs du SRA innocentés

Le SARS-CoV-2 se fixant sur le récepteur ACE2 pour pénétrer dans la cellule, la question s’est très rapidement posée de savoir si les inhibiteurs du SRA (iSRA), qui augmentent l’expression et l’activité de l’ACE2, pourraient avoir un rôle délétère en favorisant l’entrée du virus dans la cellule. « On sait maintenant que les iSRA ne majorent pas le risque d’infection ni celui de forme sévère ou de décès », confirme le Pr Michel Azizi (HEGP Paris). L’étude brésilienne Brace Corona, qui a comparé chez 659 patients atteints de Covid l’arrêt temporaire ou la poursuite des iSRA, n’a relevé aucune différence sur l’état clinique, le nombre d’hospitalisations ou la mortalité. Il n’y a donc aucune raison de les arrêter chez les patients traités, ce qui pourrait au contraire augmenter la mortalité cardiovasculaire. « Paradoxalement, les iSRA, en diminuant la formation d’angiotensine II et en augmentant celle d’angiotensine 1-7, pourraient même s’avérer bénéfiques vis-à-vis de l’atteinte pulmonaire en limitant l’inflammation et la fibrose. Il a été montré dans la grippe que le pronostic des patients sous iSRA est plus favorable que chez ceux qui n’en prennent pas, mais cela n’a pas été prouvé dans le SARS-CoV-2. »

Accidents thrombo-emboliques : prévenir à bon escient

Le risque d’accidents thrombo-emboliques (TE) liés au Covid a amené à une prise en charge prophylactique mais les sociétés savantes comme l’ISTH (International Society on Thrombosis and Haemostasis) ont récemment mis de l’ordre dans les pratiques, le risque hémorragique ayant été quelque peu négligé ! Ainsi l’administration de posologies supérieures aux doses préventives usuelles d’HBPM ne suffit pas à régler le problème de la thrombose – d’autres facteurs que les facteurs de risque classiques jouant un rôle dans les complications thrombo-emboliques, comme la sévérité de l’infection – et majore les saignements. Dans un Covid traité en ambulatoire, la prévention par anticoagulants ne se justifie pas, « mais une prophylaxie pourrait toutefois être envisagée chez un patient alité, obèse ou avec des antécédents de maladie TE », concède le Dr Charles-Ambroise Tacquard (CHU de Strasbourg). Le suivi biologique de la coagulation n’a pas d’indication dans la plupart des cas. « En revanche, les D-dimères ont un intérêt en pratique dans la mesure où un taux très augmenté ou s’élevant notablement constitue un facteur prédictif fort de la survenue d’un accident thrombo-embolique chez un patient dont l’état clinique se déstabilise, y compris en ambulatoire », alerte le Pr Yves Gruel (Tours).

Les antidiabétiques neutres vis-à-vis du Covid-19

Concernant les anti-diabétiques, une étude, pourtant publiée dans une revue de renom, avait alerté sur un surrisque de mortalité chez les diabétiques de type 2 traités par insuline (27,2 vs 3,5 % en l’absence d’insuline), « mais elle ne tenait aucun compte des facteurs confondants incontournables comme l’IMC, déplore le Pr Ronan Roussel (hôpital Bichat, Paris), et ses résultats ne peuvent être retenus ». Parmi les antidiabétiques oraux, l’hypothèse d’un rôle protecteur des iDPP-4 (la DPP-4 se lie aux protéines virales et pourrait faciliter le passage du virus au niveau pulmonaire) avait été avancée, ce qui a été bien documenté pour le MERS mais pas pour le SARS-CoV-2. L’étude Coronado indique une tendance à la réduction des évènements graves (intubation, passage en réanimation, décès) mais qui ne permet pas d’affirmer un effet protecteur. Dans la même étude, la metformine ne montre pas non plus d’impact négatif.

Des interactions entre remdesivir et anticoagulant

Enfin, bien que leur efficacité soit remise en cause, certains antiviraux, comme le remdesivir, restent encore parfois prescrits. Or la vigilance est de mise en raison de leur interaction avec le CYP450. « Ils augmentent la concentration plasmatique des AOD comme l’apixaban ou le rivaroxaban, du ticagrelor ou des statines, ce qui doit amener à réduire les doses ou à changer de molécule. En revanche, ils inhibent la transformation du clopidogrel en métabolite actif, et il faudra doubler la dose ou passer au prasugrel », détaille le cardiologue.

Que sont devenus les patients cardiaques pendant l’épidémie ?

Pendant la première vague de la pandémie, on a constaté une diminution de moitié du recours aux urgences et des hospitalisations en USIC pour syndrome coronarien aigu. « Un registre européen montre que le nombre d’angioplasties primaires a diminué de 19 % et révèle surtout une augmentation de la durée de l’ischémie et de la réalisation des procédures, provoquant une surmortalité, en particulier chez les hypertendus, insiste le Pr Sandrine Charpentier (urgences, Toulouse). Mais on manque encore d’études pour savoir ce que sont devenus ces patients qui n’ont pas consulté ».

En revanche, alors que le nombre global d’admissions et celui de diagnostics de SCA aux urgences a fortement diminué, la proportion de passages aux urgences pour douleurs thoraciques a augmenté. Une étude américaine a mis en évidence une envolée des recherches sur internet pour ce motif, suggérant des « autodiagnostics » et un « auto-triage » des patients. Selon une étude du Samu 93, parmi les patients ambulatoires atteints de Covid-19, 20 % ont présenté une authentique douleur thoracique mais sont restés à la maison. Aucune étude n’a permis de réellement catégoriser ces patients avec douleurs thoraciques pendant la pandémie de Covid. Certaines relevaient de l’anxiété, d’atteintes pulmonaires liées au Covid, d’embolies pulmonaires, mais aussi d’atteintes cardiaques de causes multiples liées au Covid : IDM de type 2 (inadéquation entre besoins et apports myocardiques en O2 du fait de l’hypoxie), micro-vasculopathie inflammatoire, ou authentiques SCA.

En bref…

Coronarien chronique et AOMI : un risque hétérogène L’existence d’une AOMI majore le risque de complications ischémiques chez le coronarien chronique ; un surrisque corrélé non seulement au nombre de lits vasculaires atteints mais aussi au diabète et au tabagisme.
Cœur et ramadan Le jeûne du ramadan n’augmente pas la prévalence des syndromes coronariens aigus (SCA), en revanche on constate une diminution du HDL et une augmentation du LDL et de la glycémie à jeun.
BASIC mais pas automatique Les prescriptions à la sortie de l’hôpital après un SCA restent hétérogènes et ne suivent pas toujours les recommandations de bonne pratique puisque 87 % reçoivent des AAP, 85 % des bêta-bloquants, 75 % des IEC/ARAII, 92 % des statines et 57 % seulement les quatre classes thérapeutiques.