Si les modalités de la prévention secondaire des pathologies cardio-vasculaires interrogent peu les praticiens, celles de la prévention primaire semblent, elles, en constante évolution au gré des recommandations internationales qui se succèdent et ne se ressemblent pas toujours. Faut-il se caler sur des objectifs de LDL-c ? Ou traiter à l’aveugle ?
Recommandations de la HAS de 2005, recos de la Société européenne de cardiologie de 2011, recos américaines en 2013. En matière de prévention cardio-vasculaire par les statines, les directives nationales et internationales se suivent et ne se ressemblent pas toujours. De quoi dérouter les généralistes qui ont, en masse, adopté celles de la HAS de 2005 pour se trouver, ensuite, tentés par les sirènes des recos américaines qui contredisaient celles de la Société européenne de cardiologie de 2011, utilisées quant à elles, depuis cette date, par les cardiologues. De quoi y perdre sinon son latin, du moins son LDL-c !
Surtout quand certains livres, comme celui des Prs Even et Debré, soulignent les effets indésirables des statines sans leur accorder de bénéfices. Et quand des études récentes comme Improve-it modifient les stratégies thérapeutiques. Sans compter l’arrivée sur le marché des anticorps anti-pcsk9, qui risque, une fois de plus, de rebattre les cartes en matière de prévention cardio-vasculaire pour certains patients.
Pour tenter d’y voir plus clair, reprenons l’historique des événements marquant l’évolution des guidelines concernant la prévention CV. En 2005, l’HAS publie ses recos sur la prise en charge des dyslipidémies. Elles stipulent qu’en prévention primaire, une fois le risque CV global estimé, un traitement hypolipémiant est débuté si la concentration cible de LDL-c n’est pas atteinte après 3 mois de respect des règles hygiéno-diététiques. L’objectif est de réduire le LDL-c à des concentrations inférieures à une valeur définie en fonction du nombre de facteurs de risques présents chez le sujet. En 2011, la Société européenne de cardiologie publie à son tour des recos dont l’objectif reste la diminution de la concentration de LDL-cholestérol selon les différents niveaux de risque.
Faut-il abandonner les cibles ?
Le changement de paradigme va venir des Etats-Unis, en 2013. Comme le souligne le Dr Denis Pouchain, du Conseil scientifique du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), les recommandations précédentes étaient basées sur des cibles à atteindre en fonction du niveau de risques. « Or les recommandations américaines de l’American Heart Association et de l’American College of Cardiology, ont, en 2013, proposé d’abandonner cette stratégie des cibles sur un argument fort : il n’existait aucun essai randomisé ayant comparé les effets, en termes de morbidité CV, d’un LDL-c à 1,30 à 1 ou à 0,7g/l ». En revanche, il était possible, dans les études existantes, d’établir un lien entre une réduction en pourcentage du LDL-c et une diminution proportionnelle des événements CV.
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Deuxième élément des recos américaines, qui crée une petite révolution : comme les statines sont toujours efficaces, il n’est pas utile de vérifier le niveau de LDL-c. Il suffit de prescrire des statines à forte dose pour obtenir une réduction de 50 % du LDL-c. Ou des statines à dose standard pour obtenir 30 % de réduction de ce même LDL-c.
Ces recos américaines ont perturbé les généralistes car elles ne correspondaient pas à la logique française de prescription (commencer par des statines à doses faibles, puis les augmenter en cas de non-atteinte des objectifs). Encore plus dérangeant pour les praticiens, le CNGE a, en avril 2014, appelé les autorités françaises à revoir leur copie sur le sujet en leur proposant d’abandonner les valeurs cibles de LDL-c et de traiter par statine uniquement selon le risque CV.
Cependant, alors que les experts américains proposaient d’utiliser un nouveau score de risque très large, le CNGE donnait sa préférence aux « équations de risque validées et adaptées à la population française ». En effet, une étude publiée dans le NEJM de mars 2014 [DP1]* avait démontré qu’avec ce nouveau score américain, les prescriptions de statines augmenteraient essentiellement chez des patients sans maladie CV âgés de 60 à 75 ans. Avec, dans cette population, une hausse excessive des prescriptions de 30,4 % à 87,4 % chez les hommes et de 21, 2 % à 53,6 % chez les femmes. « La stratégie américaine est celle du Fire and Forget », souligne le Pr Jean Ferrières, secrétaire général de la Société Française de Cardiologie. « Il est assez logique, en cas d’élévation forte du LDL-c, de proposer d’emblée une thérapeutique forte dose et, si l’élévation est modeste, de proposer des statines à faible dose. En revanche, ce qui l’est moins, c’est d’abandonner le contrôle du LDL-c. Nous savons, en effet, que les patients ne réagissent pas de la même façon au traitement, quelles que soient la dose et la DCI des médicaments ».
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Par ailleurs, les experts des Etats-Unis, arguant du manque de preuves scientifiques, avaient exclu de l’arsenal thérapeutique les associations d’hypolipidémiants[DP2]**.
Improve-It et les anti-PCSK9 changent la donne
Or, en 2014, cet argument est battu en brèche par l’étude Improve[ DP3]-It***, qui apporte pour la première fois la preuve de l’efficacité de l’ezetimibe en prévention secondaire. Réalisée sur 18 000 patients, elle a comparé les effets de la simvastatine 40 seule chez des patients en prévention secondaire vs simvastatine plus ezetimibe et a montré que cette association était supérieure à la simvastatine seule.
« Après Improve-It », note le Pr Ferrières, la meilleure thérapeutique de prévention CV de première intention reste les statines. Cette classe pharmacologique est coût/efficace et a montré ses bénéfices sur la mortalité CV en prévention primaire et secondaire. Ensuite, si les statines ne donnent pas les résultats escomptés, l’ezetimibe sera employé en bithérapie de deuxième intention ». « Cela fait d’ailleurs longtemps, ajoute-t-il, que les cardiologues appliquent ce schéma, mais, l’on ne disposait pas, jusqu’en 2014, de preuves du bénéfice de l’ezetimibe sur le pronostic CV ».
Selon Jean Ferrières, « les choses se sont encore compliquées pour les généralistes en 2012 , du fait de la parution du Guide des 4000 médicaments inutiles et dangereux, signé par les Prs Philippe Even et Bernard Debré, qui a développé des arguments sur la dangerosité et l’inutilité des statines auxquels les patients sont très sensibles, ce qui a rendu ces médicaments plus difficiles à prescrire pour le praticien. » « Ces théories négationnistes sur l’athérosclérose, sont très choquantes et n’existent qu’en France », poursuit Jean Ferrières, qui rappelle toutefois la nécessité d’une surveillance attentive des patients sous statines, du fait du risque de diabète.
Enfin, l’arrivée en 2015, sur le marché européen des anticorps anti-PCSK9 pourrait changer la donne en matière de stratégie de lutte contre le cholestérol pour certains patients. Il s’agit d’inhibiteurs d’une protéine, la PCSK9, qui augmentent la captation de LDL-c par le foie et abaissent sa concentration plasmatique. En association aux statines, ces médicaments ont montré qu’ils pouvaient réduire le LDL-cholestérol de 50 à 60 %. En outre, dans deux essais, les anti PCSK9 ajoutés à une statine pour traiter des patients qui n’étaient pas aux cibles ont réduit significativement le taux d’événements CV de 40 % à 50 %. Ce qui fait dire au Pr Ferrières que « les anticorps anti- PCSK9, si leur action est confirmée, pourraient avoir un emploi, en trithérapie, en 3e ligne d’une prévention cardio-vasculaire, après l’ezetimibe ».
** 2013 AHA/AAC Guideline on lifestyle management to reduce CV risk
*** IMPROVE-IT Trial AHA, 17 nov. 2014.