LE QUOTIDIEN : Comment accueillez-vous la publication de l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur le consentement pour les examens gynécologiques ?
AURORE KOECHLIN : Cet avis envoie selon moi un excellent signal : il prend la mesure des problèmes qui ont pu se poser dans le domaine gynécologique ces dernières années. Les préconisations vont dans le bon sens, notamment en termes de demande systématique du consentement avant tout acte ou de la nécessaire formation à ces enjeux des professionnels de santé.
Néanmoins, deux questions se maintiennent : à quel point cet avis va-t-il être suivi, mais aussi (et peut-être surtout), les moyens nécessaires à une bonne prise en charge gynécologique vont-ils véritablement être alloués ? De l’aveu même des professionnels de santé interrogés par le CCNE, « l’effort de pédagogie requiert du temps », ce qui demande des moyens.
Qu’est-ce que la « norme gynécologique » que vous décrivez dans votre livre ?
La norme gynécologique enjoint aux femmes de consulter régulièrement, idéalement une fois l’an, un professionnel de santé pour le suivi gynécologique, centré sur la contraception et le dépistage. Cette norme a de nombreuses conséquences. Certaines sont extrêmement positives : dépistage des cancers et des infections sexuellement transmissibles (IST), accès facilité à la contraception et à l’IVG, ressources en termes d’informations, etc. D'autres sont moins anticipées, y compris par les professionnels de santé : angoisse des patientes, surmédicalisation, charge contraceptive qui ne pèse que sur les femmes, etc.
Comment définir les violences gynécologiques ?
Le terme est difficile à définir car il n’est pas encore complètement stabilisé. Il renvoie principalement au non-respect du consentement aux actes médicaux, notamment dans le contexte de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Cette loi instaure « la démocratie sanitaire » et le « consentement libre et éclairé » des patients aux actes et aux traitements qui leur sont proposés.
Mais le terme peut également désigner plus globalement une forme moins explicite de paternalisme médical qui oriente les choix et limite l’autonomie. On peut ajouter que dans le cadre des violences obstétricales, la déshumanisation a été tout particulièrement désignée comme une forme de violence. Enfin, la notion peut viser spécifiquement les discriminations pendant le soin ou dans l’accès au soin. Il s’agit alors le plus souvent de violences verbales.
La profession a-t-elle selon vous pris la mesure des évolutions en cours ?
Dans le cadre de ma thèse, j’ai réalisé des entretiens et des observations dans plusieurs hôpitaux et espaces de consultation. À chaque fois, j’étais marquée par le fait que les professionnels étaient très demandeurs de retours sur leur pratique et conscients de la crise de confiance avec au moins une partie de leur patientèle. Beaucoup regrettaient l’absence de formation dans leurs études aux enjeux psychologiques et sociologiques.
J’ai également remarqué une évolution importante au cours de mon enquête de terrain : entre 2015 et en 2018, la demande explicite du consentement avant l’examen gynécologique était beaucoup plus systématique, et la qualification de « violences gynécologiques » était davantage reprise par les professionnels de santé. Il faut continuer dans cette voie et l’approfondir. Comme je le dis en conclusion de mon livre, il y a tout intérêt à tirer le meilleur parti de cette situation, pour sortir de la crise par le haut. La gynécologie pourrait ainsi devenir la pointe avancée d’une évolution plus globale de la médecine.
Quels conseils donneriez-vous aux gynécologues et aux sages-femmes pour restaurer la confiance avec leurs patientes ?
Je ne suis bien sûr pas spécialiste de la prise en charge médicale ou psychologique des patientes. Néanmoins, ce que je peux dire à partir de mon travail sociologique, c’est que les conseils donnés par le CCNE sont les bons : toujours écouter la patiente, toujours poser explicitement la question du consentement avant tout acte, être dans une démarche d’explication.
J’ajouterais que certains acquis de l’auto-gynécologie peuvent également être des ressources : par exemple, proposer à la patiente d’insérer elle-même le spéculum ou la sonde, ou de voir son col de l’utérus avec un miroir. Toutes les patientes ne le souhaiteront pas, mais dessiner des espaces d’autonomie et de réappropriation des corps, y compris dans la consultation gynécologique, peut aider à restaurer la confiance, et à limiter, au moins en partie, la relation asymétrique entre soignant et soigné.
*La norme gynécologique. Ce que la médecine fait au corps des femmes, éditions Amsterdam, 2022
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