Premier contingent de médecins spécialistes, la psychiatrie peine à renouveler ses effectifs et est submergée par la demande de soins. Au nombre de 15 479 inscrits à l’Ordre des médecins au 1er janvier 2020, les psychiatres redoutent les départs en retraite de la génération post mai 1968, tout en voyant le nombre de patients gonfler. 2,1 millions patients ont été soignés en ambulatoire et 425 000 pris en charge à temps complet ou partiel, en 2018, selon la Drees. « Cette augmentation de la demande de soins résulte de leur qualité et d’un abaissement du seuil de sensibilité à la douleur, physique et psychique », analyse le Dr Bernard Odier, président du Conseil national professionnel de psychiatrie. Mais le nombre de spécialistes ne suit pas : « Après l’optimisme des Trente Glorieuses et l’élan post mai 1968, il y a eu un tour de vis très sévère en 1985, divisant le nombre annuel de psychiatres formés par cinq. Aujourd’hui, c’est la décrue. », résume le Dr Odier.
Cette décroissance est accentuée par une difficulté de recrutement d’internes. En 2020, sur les 527 postes ouverts en psychiatrie aux Épreuves Classantes Nationales, 58 n’ont pas été pourvus. Ces postes non attribués font écho au taux de vacance statutaire de l’hôpital public. En 2018, 28,7 % des postes de psychiatres temps plein y étaient vacants. Comme l’explique le Dr Marie-José Cortés, présidente du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux, ces tensions démographiques accélèrent les inégalités territoriales : « Certains services hospitalo-universitaires sont sur-fréquentés par les internes. Et ce au détriment d’autres services, notamment sectoriels, qui seront de moins en moins choisis. Il faut remettre à la discussion la maquette de l’internat pour développer des stratégies d’implantation, tout en étant attentifs aux souhaits des internes. » Le Dr Cortés remarque que la concentration des premières expériences en CHU pourrait aussi à terme « réduire l’éventail de soins », faute d’explorer la diversité de la spécialité.
Un accompagnement qui prend du temps
La pédopsychiatrie s’appuie sur cette diversité de pratiques et sa pyramide d’âge est des plus impressionnantes. La moyenne d’âge des praticiens, 62 ans, est de dix ans supérieure à celle de l’ensemble des médecins. Et, avec aujourd’hui à peine 600 médecins, la densité de pédopsychiatres en France est la plus faible d’Europe.
Certains jeunes se laissent néanmoins tenter. À 37 ans, le Dr Jonathan Lachal a pris un poste de MCU-PH au CHU de sa ville d’origine en septembre 2020, à Clermont-Ferrand, après huit ans d’exercice à Paris. Fils de pédopsychiatre, il pensait d’abord s’orienter vers la génétique. « Au fil de mon cursus, j’ai trouvé dans la pédopsychiatrie un lien avec la société beaucoup plus explicite que celui des autres spécialités, de par l’importance de sa prise en charge du contexte, de l’environnement. » Et qu'importe si la place dévolue à cette discipline correspond à des mini structures hospitalières : le Dr Lachal la voit plutôt comme source d’opportunités : « Être le seul universitaire de sa discipline force à aller à la rencontre d’universitaires d’autres disciplines et ouvre les possibilités de projets de recherche. »
Le Dr Thierry Delcourt se retrouve, lui, à 70 ans, seul pédopsychiatre libéral de Reims. « Je reçois tous les jours 5 à 10 demandes de nouveaux rendez-vous », constate ce vice-président du Syndicat National des Psychiatres Privés. Selon lui, la faible attractivité de la pédopsychiatrie s’explique en partie par ses revenus. « Ils ne sont pas attractifs car les consultations demandent plus de temps et s’accompagnent d’une rencontre avec la famille, de multiples réunions… mettant en jeu la rentabilité du cabinet ». Selon lui, « une revalorisation pourrait augmenter l’effectif assez rapidement » .
Le spécialiste pointe aussi du doigt une tendance du secteur public à développer le rôle d’expert du psychiatre, avisant le médecin généraliste mais rognant sur son rôle d’accompagnant. « Devenir une plateforme d’orientation n’est pas très palpitant et risque de baisser l’attractivité de l’exercice », pense-t-il, estimant que le secteur privé est épargné par ce phénomène, « pour l’instant ».
Article précédent
La dermato, attractive, mais en sous-effectifs
Article suivant
Médecins du travail, meux se faire connaître : un enjeu vital
La dermato, attractive, mais en sous-effectifs
Les psychiatres, de moins en moins nombreux face à une demande exponentielle
Médecins du travail, meux se faire connaître : un enjeu vital
Pénurie : certaines spécialités plus touchées que d'autres
« Les mouvements correctifs ne se traduisent pas encore en un meilleur accès aux soins»
La gynéco médicale mobilise autour de son avenir
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024