En France, 8 961 personnes se sont suicidées en 2019 : c’est trois fois plus que le nombre de morts sur la route. « Nous disposons enfin de stratégies assez nombreuses de prévention du suicide fondées sur les preuves, qu’il convient de coordonner entre elles », a déclaré le Pr Philippe Courtet (CHU de Montpellier). L’objectif consiste à mettre en œuvre un ensemble d’actions de prévention, essentiellement centrées sur les populations à risque.
Un effet spécifique du lithium
Parmi les principaux facteurs de risque de suicide figurent les troubles psychiques. En effet, la part des troubles de l’humeur, pour la prédiction d’apparition des idées suicidaires et de tentatives de suicide, est estimée entre 44 et 55 %. Cependant, il est aussi apparu que traiter la dépression avec les antidépresseurs traditionnels ne suffit pas à prévenir le suicide. Les patients déprimés sont à plus haut risque suicidaire, mais ils répondent moins bien aux antidépresseurs. « La ‘dépression suicidaire’ pourrait être une forme spécifique de dépression et la prise en charge par des antidépresseurs n’est pas suffisante », souligne le psychiatre. Il serait préférable d’utiliser le lithium. Une métaanalyse (1) a montré son efficacité, avec une réduction du suicide chez les patients souffrant de troubles de l’humeur. Il convient de l’utiliser à long terme et de ne jamais l’arrêter brutalement. Il existerait une propriété anti-suicidaire intrinsèque du lithium, indépendante de son efficacité comme stabilisateur de l’humeur.
Quant au traitement par électrochocs, il permet de soulager les symptômes dépressifs et de réduire le risque de suicide aigu. « Les électrochocs semblent marcher plus rapidement que les antidépresseurs. Toutefois, leur efficacité n’est pas si immédiate que cela : il faut attendre au moins deux semaines (3 séances par semaine) pour qu’environ 61 % des patients n’aient plus d’idées suicidaires », a souligné le Pr Courtet.
Évaluer l’isolement social et la douleur psychologique
Aujourd’hui, l’approche préventive doit être coordonnée et globale. L’expertise diagnostique, la connaissance des facteurs de risque et des signes avant-coureurs du suicide sont essentiels pour pouvoir évaluer le risque de suicide. La solitude a un impact majeur. La condition objective et le sentiment subjectif d’être seul sont fortement associés aux tentatives de suicide et aux idées suicidaires.
Les sujets suicidaires présentent une sensibilité particulière à l’adversité et à l’exclusion sociale. D’après la théorie d’E. Shneidmann « le suicide est causé par la psychache », c’est-à-dire la douleur psychologique, qui est indépendante du niveau de dépression. Une étude récente a montré que la douleur psychologique est le meilleur prédicteur d’un évènement suicidaire ultérieur (2) : la douleur physique l’étant beaucoup moins. Il est donc essentiel de dépister la douleur psychologique.
Une action plus rapide pour l’eskétamine par voie intranasale
Les traitements pharmacologiques actuels, tels que les antidépresseurs, peuvent mettre plusieurs semaines avant de montrer un effet. La recherche a donc porté sur des molécules à action plus rapide et plus spécifique, comme la kétamine IV. Il s’agit du premier principe actif antidépresseur qui ne soit pas en lien avec le système monoaminergique. La kétamine favorise la production de glutamate.
Une forme plus facile à administrer a été développée, l’eskétamine par voie nasale. Les études Aspire I et II ont montré son intérêt chez les patients atteints d’un épisode dépressif modéré à sévère, résistant n’ayant pas répondu à au moins deux antidépresseurs différents et considérés comme à risque suicidaire imminent.
Les services d’urgence en première ligne
« Les grandes douleurs sont muettes », disait Sénèque. « Les patients ne font pas appel à l’aide. Et pourtant, ces patients existent et sont en contact avec les soins, a rappelé le Pr Courtet. Parmi les personnes présentant des idées suicidaires ou ayant des antécédents de tentative de suicide, 50 % sont en contact avec les soins, dont 35 % de santé mentale. » Plus d’un tiers des personnes qui se suicident ont consulté un professionnel de santé dans la semaine précédant leur décès et la moitié dans le mois précédant leur décès.
Mais près de la moitié des patients suicidaires aux urgences ne suivent pas de traitement ou l’interrompent rapidement. « Des interventions brèves, comme les contacts postaux ou téléphoniques, ont montré leur efficacité ainsi que la mise en place d’un ‘safety plan’ personnalisé, avec les personnes à contacter. Il faut commencer à prendre en charge aux urgences et garder la main tendue pendant plusieurs semaines », prévient le Pr Courtet.
Exergue : L’approche préventive doit être coordonnée et globale
Communication du Pr Philippe Courtet « Nouvelle ère de prévention du suicide » (1) Del Matto L et al. Neurosc Biobehav rev. 2020(116)142-53 (2) Alacreu Crespo et al. Psychother Psychosom.2020;89(5):324-5
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