C'est un des problèmes d'environnement auquel est confronté La Bretagne depuis plus de 30 ans. Les marées d’algues vertes qui se déposent sur certaines plages dégagent en séchant de l’hydrogène sulfuré, un gaz toxique qui devient mortel en grande quantité. Urgentiste à l’hôpital de Lannion depuis 1988, le Dr. Pierre Philippe a rencontré plusieurs cas d’accidents graves ou mortels survenus au milieu d’algues vertes. Pour démontrer l’évidence que beaucoup ne souhaitaient pas voir, il a lutté sur son terrain d’action : la médecine.
Aujourd’hui jeune retraité, le Dr. Pierre Philippe, n’oubliera pas une de ses premières gardes en tant que médecin urgentiste au CHU de Lannion. En juin 1989, un joggeur de 26 ans est retrouvé mort dans un amas d’algues vertes. L’odeur des algues empêche le jeune médecin de déterminer la cause du décès et il ne recevra jamais les résultats de l’autopsie. Ayant grandi dans la région, le Dr. Pierre Philippe a vu les premières marées d’algues vertes attaquer le littoral dans les années 70. Une prolifération due à l’augmentation des nitrates dans les cours d’eau, causée par l’industrialisation agricole (Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer, IFREMER).
Dix ans après la mort du jeune sportif, les urgences accueillent un ramasseur d’algues dans un état de mal convulsif, trouvé précisément au même endroit. Dr. Pierre Philippe fait alors le lien entre les deux événements et alerte les autorités sanitaires sur l’éventuelle intoxication à l’hydrogène sulfuré, ou H2S, rejeté par les algues. « L’intoxication à l’H2S était connue par des cas sporadiques et en milieu confiné uniquement. Pour le mesurer, un dosage spécifique doit être demandé. Après de multiples relances, on me répond que cela n'est pas exclu mais qu’il n’y a pas de preuve, aucun cas en milieu ouvert n’étant été décrit », détaille-t-il.
Nouvel épisode en 2008. Une vétérinaire perd ses deux chiens dans les algues de la baie d’Hillion, près de Saint-Brieuc. L’été suivant, un cavalier perd connaissance au même endroit où le joggeur et le ramasseur d’algues ont été retrouvés. Son cheval meurt sur le coup. « La conjonction de lieu, la mort simultanée des chiens. Cela ne pouvait qu’être toxique, provenir des gaz inhalés et donc des algues. C’était une évidence mais il fallait la démontrer », raconte Dr. Pierre Philippe.
Le médecin et le cavalier décident alors de faire analyser les tissus du cheval. Mais la démarche ne plait pas à tout le monde. Alertée par son autorité de tutelle et la préfecture, la direction de son hôpital met en garde le praticien. Le Dr. Philippe décide alors de communiquer l’affaire aux médias. L’autopsie du cheval révèle un très fort taux d’H2S et prouve l’intoxication aux algues vertes. « Parler aux médias était la seule manière de faire avancer les choses. Un jour ou l’autre, il y aurait eu des enfants mis en cause », assure le médecin.
Rester médecin avant tout
Politiquement et médiatiquement, l'initiative est une bombe. Plusieurs ministres font le déplacement. Un plan gouvernemental de lutte contre les algues vertes s’en suivra, puis un second. La plus grande crainte du Dr Philippe face à cette agitation : perdre sa crédibilité. « En interview, je m’attachais à ne jamais dévier du plan médical. Je ne me suis impliqué dans aucune association. Ce n’est qu’en restant au niveau médical pur qu’on arrive à être entendu et inattaquable », conseille-t-il. Sa crédibilité, l’urgentiste l’a aussi garantie avec son article paru en 2013 dans la revue scientifique « Les Annales françaises de Médecine d’Urgence » : « Plus personne ne peut dire qu’il n’y a pas de cas décrit dorénavant. »
Aujourd’hui, le système agricole n’a pas vraiment changé mais les algues sont désormais systématiquement ramassées sur les plages. En 2016, un joggeur est retrouvé mort parmi les algues vertes dans un estuaire où les pelleteuses ne passent pas. L’affaire a été classée sans suite. Dr. Philipe continue de témoigner : « Je me tiens à la disposition de tout le monde, tout en gardant ma neutralité officielle. » Il a ainsi été interrogé par la journaliste Inès Léraud qui a publié en juin 2019 avec le dessinateur Pierre Van Hove une enquête bande-dessinée, « Algues Vertes, l’histoire interdite ». Pour le médecin : « La BD marque un peu une conclusion. C’est gravé maintenant. Je n’ai pas grand espoir quant aux pouvoirs publics mais les habitants l’ont vraiment appréciée. Au début, l’enjeu économique était tel qu’il y avait de grandes tensions. Beaucoup ont maintenant compris que ce n’était pas des actions menées contre la Bretagne mais pour qu’elle soit plus belle encore. »
Article précédent
A Bordeaux, une prévention environnementale de la fertilité
Article suivant
Le développement durable, enjeu sanitaire de l'après-crise
Des professionnels de santé s’organisent contre la pollution de l’air dans la vallée de l’Arve
Dans le Limousin, la mobilisation médicale envers les pesticides porte ses fruits
Le collectif Strasbourg Respire veut faire de la pollution de l’air un enjeu de santé publique
A Bordeaux, une prévention environnementale de la fertilité
En Bretagne, un praticien hospitalier face à l'affaire des algues vertes
Le développement durable, enjeu sanitaire de l'après-crise
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes