Miser sur la communauté pour repérer les personnes en souffrance et les orienter, tel est le principe des sentinelles. Ce ne sont pas des cliniciens, mais des citoyens, volontaires et majeurs, qui présentent une disposition spontanée à se soucier de l'autre. « Ce peut être le barman à qui tous les piliers de bar vont parler, le surveillant d'un lycée à qui les jeunes se confient, un vétérinaire connu pour son oreille attentive… », illustre le Dr Charles-Édouard Notredame, psychiatre au CHU de Lille. Dans le monde rural, la Mutualité sociale agricole (MSA) a fait former largement ses collaborateurs (travailleurs sociaux, conseillers en prévention, médecins, personnel du contrôle et du recouvrement de cotisations) dans le cadre de deux plans successifs. Les caisses ont aussi répondu aux demandes de formation des personnels de chambre d'agriculture, des vétérinaires, des taxis ambulanciers, des contrôleurs laitiers, etc.
La mission de la sentinelle ? « On ne lui demande rien : il ne s'agit pas de conférer à la sentinelle des responsabilités qui iraient au-delà du cadre légal et moral dans lequel elle s'inscrit », poursuit le Dr Notredame. Mais elle est plus affûtée, à l'écoute, et à même de repérer et d'orienter une personne en souffrance ou à risque suicidaire. Elle n'a en revanche pas à l'évaluer, encore moins à la prendre en charge.
Un dispositif complet
Si le dispositif existe depuis plus de 10 ans à l'étranger, la France ne s'est engagée dans une harmonisation de la formation que depuis 2017, à l'occasion de la réingénierie de la formation prévention du suicide. Les sentinelles - qui ont été formées au gré d'initiatives locales en particulier par la MSA depuis les années 2010 - ont été introduites explicitement en janvier 2022 dans la feuille de route santé mentale. Leur déploiement est par ailleurs l'un des axes dans une seconde feuille de route dédiée à la prévention du mal-être des agriculteurs et fait l'objet d'une circulaire interministérielle, publiée en février 2022.
La formation, telle qu'harmonisée au plan national, se déroule sur une ou deux journée(s) selon les territoires. « Elle n'est en rien professionnalisante : on parle de l'intérêt de l'empathie, on donne aux sentinelles des outils pour savoir repérer une personne en crise, pour graduer leur inquiétude, orienter rapidement vers une personne pouvant faire une évaluation et on leur donne des conseils pour prendre soin de leur propre santé mentale », détaille le Dr Notredame.
La notion de « dispositif » est cruciale ; d'où la formalisation des quatre conditions nécessaires à l'existence des sentinelles, à commencer par la structuration d'un aval pour orienter les personnes repérées. Celui-ci peut prendre la forme d'un accompagnement de la MSA en lien avec sa plateforme Agri'écoute (09 69 39 29 19), d'un centre médico-psychologique (CMP), d'une infirmière scolaire dans un lycée, d'une psychologue de permanence dans une mairie, du numéro national 3114, etc. Il faut en outre que la sentinelle puisse pouvoir recourir à du soutien, si elle-même se retrouve en difficulté, qu'elle s'inscrive dans un réseau et qu'enfin elle bénéficie d'une supervision.
Objectif : 5 000 sentinelles agricoles
Dans le monde agricole, c'est la MSA qui a été missionnée pour déployer les sentinelles et animer ce réseau de bénévoles et de professionnels volontaires, en lien avec les agences régionales de santé (ARS). L'objectif est de recenser et de former d'ici à un an 5 000 sentinelles actives sur tout le territoire, soit 50 par départements. « Des réseaux existent, mais ils manquent de visibilité ; certaines sentinelles formées il y a dix ans ne sont plus actives », observe Frédérique Jacquet-Libaude, responsable du département instance et pilotage de la MSA.
Dans la police, qui déplore chaque année depuis 2001 près d'une cinquantaine de suicides, malgré les plans de prévention, l'objectif est de former 1 950 sentinelles en 2022, soit une pour 70 à 80 fonctionnaires.
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