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Adolescence : quatre questions pour engager le dialogue

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Publié le 23/05/2022
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Souvent motivée initialement par un motif somatique simple, la consultation avec une adolescente peut aussi être l'occasion de détecter un éventuel mal être ou des conduites à risques. Harcèlement, insomnie, tabagisme et sommeil : au travers de quatre questions simples distillées de façon informelle, le test BITS permet d'ouvrir la discussion et de repérer d'éventuels signes d'alerte

« C’est au médecin de faire le premier pas ». Alors qu’en médecine générale, 94 % des consultations d’adolescent se font pour un motif somatique, le Dr Camille Lépine (généraliste et cheffe de clinique de médecine générale à Strasbourg) invite à aller plus loin. « La littérature le montre très bien, même s’ils ont une autre préoccupation, les ados n’oseront qu’assez rarement aborder le sujet d’eux-mêmes, explique la jeune généraliste. En revanche, si le médecin élargit la discussion à d’autres questions, ils sont généralement très ouverts ».

Le test BITS (Brimades, insomnie, tabagisme et sommeil) permet justement d’ouvrir la consultation de façon informelle, en questionnant l’adolescent sur quatre aspects de sa vie. « Par brimades, on entend plutôt harcèlement, précise le Dr Lépine, l’idée étant par exemple de demander à l’adolescent s’il a déjà été embêté à l’école ou sur les réseaux sociaux ». Concernant le sommeil, on leur demandera s’ils dorment bien, s’ils font des cauchemars. Cet aspect « est particulièrement important pour l’adolescente, chez qui il peut être un point d’appel pour beaucoup d’autres choses. »

Pour ce qui est du tabac, la question permet d’élargir à toutes les autres addictions. « Si l’adolescente fume, on ira chercher d’autres consommations, alcool et cannabis notamment. Si elle ne fume pas, on peut être à peu près rassuré car c’est rare d’avoir des consommations d’alcool et de cannabis isolées sans tabagisme. » La question du stress concerne à la fois l’école et la maison. « On peut par exemple demander comment se passent les repas en famille car c’est souvent le reflet d’une dynamique familiale », selon le Dr Lépine.

Plus qu’un interrogatoire en règle, le but est de distiller les questions au fil de la consultation. Par exemple, « j’aborde souvent le sujet du tabac au moment de l’examen clinique », témoigne le Dr Lépine.

Conçu pour détecter un éventuel mal-être du jeune, ce test offre aussi la possibilité « d’ouvrir la conversation et de balayer d’autres sujets. Il permet de brosser assez rapidement le paysage de l’adolescente et d’avoir des petits signes d’alerte ».

Si le résultat est supérieur ou égal à 3, il faut interroger le jeune sur ses idées suicidaires ou scarifications.

Selon la littérature, « les idées suicidaires sont plus fréquentes chez les jeunes filles, rappelle le Dr Lépine. De même pour les troubles du comportement alimentaire et la question de l’image de soi. Sur ce point, je pense que le médecin traitant a un rôle important et qu’il peut être intéressant de questionner les adolescentes sur la façon dont elles se perçoivent, comment elles vivent leur corps, en renforçant leur estime d’elles-mêmes. »

Concernant la sexualité, là encore, « je pense que ça peut être à nous d’initier la conversation, avec des questions très basiques, indique le Dr Lépine. Ont-elles déjà une contraception ; si non, ont-elles déjà des rapports ou est-ce qu’elles en envisagent dans un délai relativement court ? Alors qu’il y a encore pas mal de jeunes filles qui ont dans l’idée que la contraception est une affaire de gynécologue, il me semble important de leur signifier que c’est un sujet qui nous intéresse, qu’elles peuvent nous en parler. »

Au-delà de la contraception, la généraliste invite aussi à se pencher sur le vécu de la sexualité plutôt que de se focaliser sur les risques.

De façon générale, à cet âge, « on parle beaucoup de conduites à risque, d’addictions mais je pense que c’est important de parler aussi des choses positives et de se rappeler que la plupart du temps, les adolescentes vont bien ».

Dans le cas contraire, jusqu’où aller en tant que généraliste ? Le Dr Philippe Binder (Poitiers) a développé la notion de « cap à passer ». « Si on estime que c’est une difficulté passagère, que ce n’est pas quelque chose d’enkysté, que le milieu familial et amical est soutenant, le généraliste a toute sa place », décrypte le Dr Lépine, pour qui il y a un piège à orienter trop tôt : « Car une adolescente qui a fait l’effort de se confier à son médecin peut avoir un sentiment d’abandon si celui-ci l’adresse d’emblée vers quelqu’un d’autre »…


Source : Le Généraliste