En 2017, Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, annonçait la mise en place de deux consultations de prévention dédiées au cancer du sein, à l’âge de 25 et 50 ans. Ce programme n’a jamais vu le jour. Quelles ont été les suites données ?
Marguerite Cazeneuve : L’annonce de Marisol Touraine a été suivie du lancement de travaux scientifiques du côté de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l’Institut national contre le cancer (Inca). Ces travaux ont posé des bases et ont introduit l’idée de mettre en place des consultations dédiées à des âges clés de la vie. Aujourd’hui, cela fait partie des engagements du programme présidentiel. Nous allons donc rapidement entrer dans une phase opérationnelle pour instaurer ces grands moments de prévention. D’ailleurs, grâce à la crise et à notre expérience sur le contact tracing et la vaccination, nous avons désormais des moyens plus efficaces pour contacter, cibler, relancer, convaincre, aller au contact des femmes sur ces sujets. L’Assurance maladie a une vocation d’universalité et nous participons depuis maintenant de nombreuses années, avec les centres d’examens de santé, à l’organisation de bilans de santé pour la femme. Nous avons déjà une connaissance historique de cette approche populationnelle. Notre machine est donc maintenant bien huilée pour démarrer au plus vite un vaste programme de prévention.
Quelle forme prendra ce programme de prévention ?
Dr Isabelle Vincent : Nous souhaitons nous inscrire dans une approche vraiment plus globale. L’idée n’est plus de tronçonner la femme organe par organe mais d’aborder différents sujets au cours de ces grands moments de prévention. Grâce à tous les travaux scientifiques qui ont été menés par la HAS et l’Inca et qui continuent d’être menés, nous avons un meilleur aperçu des dépistages qui présentent un réel intérêt en fonction de l’âge. Pour la consultation à 25 ans, un point d’évaluation sur les éventuels risques de cancer du sein pourra être fait mais ce rendez-vous sera aussi l’occasion d’aborder d’autres sujets : sensibilisation des jeunes femmes à l’intérêt du dépistage du cancer du col de l’utérus, prévention autour de la contraception, etc. Par ailleurs, ces consultations seront aussi l’occasion de parler d’addiction : consommation de tabac, notamment pendant la grossesse, consommation d’alcool, etc. L’idée est vraiment d’avoir une approche globale de prévention et finalement de faire de ces consultations des points d’étape clés tout au long de la vie.
Quand sont prévues ces consultations et à quoi serviront-elles ?
M. C. : En plus de la consultation à l’âge de 25 ans, il est prévu d’en instaurer une aux âges de 45, 60 et 70 ans. Les problématiques de santé qui seront abordées pendant ces consultations seront différentes en fonction de l’âge de la patiente. Il est évident que les problématiques de santé ne sont pas les mêmes à 25 et 60 ans. Comme le disait le Dr Isabelle Vincent, une attention particulière sera portée au dépistage des cancers du col de l’utérus et du sein pour les consultations de 25 et 45 ans. Pour les consultations de 45 et 60 ans, le médecin traitant mettra logiquement l’accent sur la ménopause et la question du risque cardiovasculaire, qui est majeur. À 70 ans, la consultation sera consacrée à la prévention de la perte d’autonomie. Un suivi régulier et individualisé des indicateurs de perte d’autonomie devrait être mis en place. L’objectif est d’arriver à construire, avec l’ensemble des acteurs concernés, des consultations exhaustives qui permettent d’avoir une discussion complète avec la femme sur l’ensemble des sujets qui concernent sa santé. Cela permettra à chaque femme de prendre conscience des différentes actions de surveillance qu’il faut qu’elle engage pour sa santé.
Après la baisse observée du dépistage des cancers du col de l’utérus et du sein pendant la pandémie, quelle est la tendance actuelle ?
M. C. : Cela commence tout juste à remonter. Pour le dépistage du cancer du col de l’utérus, nous étions, entre 2017 et 2019, à un taux de couverture de 58,2 % sur l’ensemble des femmes âgées de 25 à 65 ans. Ce chiffre était déjà en baisse par rapport à la période triennale glissante précédente (2016-2018) avec un taux de couverture de 59,5 %. Nous remontons progressivement à un taux de couverture de 59 % pour l’année 2020-2021. En ce qui concerne le cancer du sein, le taux de participation s’élève pour la période 2019-2020 à 45,6 %, contre 49,1 % pour 2018-2019. L’objectif aujourd’hui est évidemment de rattraper le niveau d’avant-crise, mais surtout d’aller encore plus loin. Depuis plusieurs mois, l’Assurance maladie multiplie les actions d’aller-vers pour renforcer le dépistage organisé. Toujours est-il qu’aujourd’hui, seule une femme sur deux se fait dépister pour le cancer du col de l’utérus et moins d’une femme sur deux pour celui du sein. C’est encore très insuffisant.
Comment comptez-vous améliorer la couverture nationale de dépistage ?
M. C. : Nous sortons de deux ans de pandémie avec un savoir-faire que nous n’avions pas auparavant. Avec la campagne de vaccination, nous avons en effet adopté une démarche systématique d’aller-vers graduée. Celle-ci s’est caractérisée par un large éventail d’actions : courriers, envois de SMS, appels sortants et actions ciblées sur les territoires par les Cpam. Maintenant, nous devons mettre cette force de frappe au service du ministère de la Santé pour améliorer les taux de dépistage, ce que nous avons commencé à faire. Dans les prochaines années, l’objectif est de parvenir à bâtir une vraie politique systématique, en lien avec les centres régionaux de dépistage de cancer, pour viser l’universalité en matière de dépistage. Pour cela, il faudra mobiliser différentes actions pour informer toutes les femmes, notamment les plus éloignées du soin, qui sont souvent aussi les plus précaires.
Quelle sera la place des professionnels de santé ?
M. C. : Nous comptons évidemment beaucoup sur les professionnels de santé et notamment les médecins traitants pour atteindre des taux de dépistage beaucoup plus élevés. Pendant la pandémie, nous sommes parvenus à envoyer aux médecins traitants la liste de leurs patients non vaccinés contre le Covid. Ce dispositif a désormais vocation à être déployé pour le dépistage organisé. Les médecins pourront ainsi recevoir la liste de leurs patients n’ayant pas réalisé leur dépistage. Il nous semble indispensable de pouvoir communiquer de manière régulière avec eux afin qu’ils puissent, au moment des consultations, en discuter avec leurs patients. Les sages-femmes ont évidemment aussi un rôle clé sur la santé des femmes. Et, plus généralement, l’ensemble des professionnels de santé seront également associés à ce programme de prévention. Notre but ici n’est évidemment pas de nous substituer aux professionnels de santé mais, au contraire, de les sensibiliser et de les outiller afin que les femmes aient toutes les clés pour prendre leur santé en main.
Mon espace santé aura-t-il un rôle à jouer dans le nouveau programme de prévention ?
M. C. : Tout à fait. Mon espace santé va être un outil très précieux pour l’Assurance maladie. Il va nous être utile pour informer un maximum de femmes grâce à l’envoi de messages génériques de prévention. Ces messages pourront être ciblés en fonction du profil des patientes. Il sera par exemple possible de faire passer des messages en faveur de la vaccination HPV. La plateforme va aussi recueillir l’historique des vaccinations, dépistages et examens de santé, ce qui permettra d’avoir des rappels pour ceux qui n’ont pas été réalisés. Par ailleurs, Mon espace santé permettra prochainement de référencer des applications de santé validées sur les plans scientifique et technique. Un catalogue permettra de faire son choix. Les données recueillies par ces applications spécialisées – sur la grossesse par exemple – alimenteront Mon espace santé. Une dizaine de constantes de santé sont aujourd’hui suivies sur la plateforme (poids, tension, etc.), qui pourront également être automatiquement remplies par des dispositifs connectés. À terme, l’objectif est de parvenir à spécialiser cet espace pour offrir aux femmes un carnet de santé personnalisé et « augmenté ».
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