L’enfer est, dit-on, pavé de bonnes intentions comme les textes de loi sont parsemés de fausses bonnes idées ! La certification est une de celle-là. « Quoi ? Vous ne souhaitez pas être soigné par des praticiens au fait des dernières avancées scientifiques ? Vous n’approuvez ni l’actualisation des connaissances ni l’amélioration des pratiques ? » Bien sûr que si ! Mais la loi qui a réglementé la formation continue le prévoyait déjà. Pourquoi donc n’a-t-elle pas été appliquée ?
J’ai, pour ma part – et je ne suis pas le seul — une pleine valise de certificats, d'attestations de formations post-universitaires, de factures, de mes abonnements à la presse médicale et même les exemplaires d’articles que j’ai commis ; pourtant, aucune autorité ne m’a jamais demandé d’en faire état ! Ce système de vérification des connaissances aurait eu le mérite de considérer les médecins comme des adultes conscients et responsables.
Sommes-nous libres ?
Ce que le Pr Uzan nous propose est de retomber sous la tutelle des universitaires et de nous infantiliser. Quant à l’amélioration de nos relations avec nos patients, ce vœu pieux nous renvoie à une question sans véritable réponse : y a-t-il un « profil type » du « bon médecin » vers lequel chacun doit s’efforcer de tendre, ou bien chacun pratique-t-il son art en fonction de sa personnalité et de ses convictions ? En bref, sommes-nous libres ?
En ce qui concerne la prise en compte de la santé individuelle, il s’agit de la nôtre, à nous médecins. C’est notre affaire et pas celle d’un jury. Mais, me direz-vous, « nous avons interrogé les médecins et ils ne sont pas opposés à cette réforme ? » Quels médecins avez-vous interrogés ?
Les étudiants ? Il n’est pas étonnant que ces futurs médecins n'y soient pas opposés. Cela fait entre deux et dix ans qu’ils passent des examens ! L’obstacle ne leur paraît donc pas insurmontable. Mais ils ignorent tout de la pratique professionnelle « sur le terrain » et ne réalisent pas combien le fait de passer un examen tous les six ans représente une lourde contrainte. Sans compter que l’obligation triennale ne va pas disparaître pour autant.
Les membres du conseil de l’Ordre ? Compte tenu de leur âge moyen et du temps qui va s’écouler avant la mise en œuvre de cette mesure, la grande majorité va y échapper ! Les retraités actifs ? Ils sont exemptés de cette obligation.
Les universitaires (seuls à être interrogés dans la presse professionnelle) ? Mais ce sont eux qui feront passer des examens !
Les patients ? Que les médecins soient corvéables à merci ne leur coûte rien. On leur a même promis les meilleurs soins pour le tarif le plus bas… Ils auraient tort de s’en priver.
A-t-on interrogé les principaux intéressés ? Les médecins de ville ? Que nenni ! Or il y a déjà un frein concernant les vocations de généralistes : le choix de la médecine générale est arrivé en 40e position sur 44 options possibles lors de la mise au choix des spécialités après les ECN en 2020 ! Le Pr Uzan veut-il la fin de la médecine libérale ?
Y a-t-il une autre profession dans l’Hexagone dont le diplôme soit remis en cause tous les six ans ? À ma connaissance, non. On a parlé des pilotes de l’aviation civile. En fait, les examens périodiques qu’ils subissent n'ont trait qu’à leur santé et à leurs performances physiques. Les examens techniques qui leur sont imposés n’interviennent que lorsqu’ils changent d’appareil. On a allégué le système de contrôle des médecins aux États-Unis ! Il correspond exactement à celui qui devrait être mis en œuvre pour nous depuis des années. Mais aux USA, ces vérifications ont eu lieu ! Et je peux vous assurer qu'à la fin d’une formation, les praticiens font la queue pour obtenir la précieuse attestation.
Usine à gaz
Qui fera passer cet examen ? Un jury hétéroclite ou seuls les universitaires disposent d’une compétence suffisante, les autres – l’Ordre, les syndicats, les CNP, les usagers – feront de la figuration. Y aura-t-il des sanctions pour les médecins réfractaires ? Oui : l’interdiction d’exercer ! Celle-ci peut déjà être imposée au niveau des conseils régionaux mais elle est exceptionnelle. Elle ne concerne que des médecins coupables de fautes graves ou affectés d’insuffisances physiques ou intellectuelles incompatibles avec la pratique de notre métier. Faut-il alourdir cette procédure ? J’en doute.
Qui va payer le prix de ce très important dispositif ? L’État ? L’assurance-maladie ? Mais ils ont déjà un déficit abyssal… ! Il paraît que les médecins seraient dispensés de leur participation financière à cette mesure, leurs impôts suffiraient. Qu'ont-ils à gagner à cette certification périodique ? Rien, sinon l’orgueil d’un titre sur leur papier à en-tête ! Il est vrai que notre tutelle accepte sans broncher que le médecin soit honoré au même taux à 30 ans, au sortir de la fac et à 60 ans, après tant d’expérience ! Merci à nos syndicats ! Aucune autre profession ne l’accepterait.
En bref, cette usine à gaz ne sera ni souple ni valorisante, mais coercitive. Il ne nous reste plus qu’à espérer dans l'inertie de l’ordre, qui depuis des lustres s’est désintéressé de son rôle de contrôleur… Avec une bonne excuse : dans une usine à gaz, difficile de savoir à quoi servent les tuyaux. Mais attention, le gaz peut être explosif !
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Exergue : Le Pr Uzan veut nous faire retomber sous la tutelle des universitaires et nous infantiliser.
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