Le taux de suicide en France est l’un des plus élevés au monde, avec un suicide toutes les 40 minutes, une tentative toutes les 2 minutes, et 1 décès sur 50 par suicide, ce qui correspond à 11 000 décès par an. Il fait partie de la liste des causes de mortalité dite évitable, utilisée depuis 1994 dans les rapports du Haut comité de santé publique sur la santé en France.
Les suicides surviennent dans un contexte de souffrance psychique intolérable. Les troubles mentaux ont alors une influence majeure. Or, la douleur apparaît comme un facteur central dans les conduites suicidaires, en raison de sa participation au stress psychosocial et comme facteur de vulnérabilité (1). De nombreux éléments épidémiologiques, cliniques et biologiques indiquent en effet l’existence d’une vulnérabilité suicidaire. Les conduites suicidaires sont ainsi analysées conformément à un modèle de stress-vulnérabilité. Seuls les sujets soumis à un stress, par exemple souffrir d’une pathologie psychiatrique, qui sont aussi porteurs d’une vulnérabilité propre, réaliseront un geste suicidaire (2). Dans ce modèle, la douleur est centrale. La consommation d’opiacés est ainsi un marqueur potentiel d'un risque accru de suicide chez les patients ayant des douleurs chroniques (3).
La douleur est la résultante émotionnelle de la frustration de besoins psychologiques fondamentaux comme l’estime de soi, l’appartenance à un groupe ou le contrôle. Elle s’explique par la prise de conscience de l’inadéquation entre l’idéal du sujet et le résultat négatif de ses actions. Tout comme la douleur physique, cette douleur psychologique est un facteur contributif dans le processus suicidaire. Selon le modèle du « Cry of Pain » de Williams et Pollock (4), le processus suicidaire se déroulerait en 3 phases, une sensibilité initiale aux signaux de perte, de défaite et de rejet, puis une tendance plus grande à se sentir piégé en raison des difficultés de résolution de ces problèmes, enfin des difficultés à envisager des solutions positives.
Vers une meilleure compréhension du processus suicidaire
Des auteurs ont formulé l’hypothèse selon laquelle les sujets porteurs d’une vulnérabilité suicidaire, par une plus grande sensibilité à la douleur, seraient plus enclins à recevoir des traitements antalgiques. Dans le même esprit, une étude épidémiologique en population générale réalisée chez des sujets de plus de 65 ans a montré que les sujets ayant une histoire passée de tentative de suicide consommaient davantage d’analgésiques opiacés que les individus ayant une histoire de dépression sans tentative de suicide et que les sujets sains, après ajustement sur les variables confondantes potentielles.
Des données issues d’études de neuro-imagerie sont cohérentes avec cette hypothèse. Elles montrent que la perception accrue de la douleur psychologique dans la vulnérabilité suicidaire repose sur des bases neuro-anatomiques, les anomalies siégeant au niveau du cortex préfrontal.
De nouvelles voies de compréhension de la physiopathologie de ce processus et de nouvelles stratégies thérapeutiques vis-à-vis de ces comportements pourraient donc émerger. La kétamine, un anesthésique général non barbiturique d'action rapide, réduit rapidement les pensées suicidaires chez les patients déprimés, comme l’a montré une méta-analyse très récente (5). Des recherches complémentaires sur sa sécurité à long terme et la durée de son efficacité sont nécessaires avant sa mise en œuvre clinique.
(1) Olié E, Courtet P. La douleur au cœur du suicide. Douleurs : Evaluation - Diagnostic - Traitement 2017;18(1):9-14
(2) Courtet P, Lopez Castroman J, Olié É. La sémiologie du suicide au XXIe siècle. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique 2016;174(6): 503-8
(3) Ilgen MA, et al. Opioid dose and risk of suicide. Pain 2016;157(5):1079-84
(4) Williams JMG, Pollock LR. The Psychology of Suicidal Behaviour. The International Handbook of Suicide and Attempted Suicide: John Wiley & Sons, Ltd; 2008:79-93
(5) Wilkinson ST, et al. The Effect of a Single Dose of Intravenous Ketamine on Suicidal Ideation: A Systematic Review and Individual Participant Data Meta-Analysis. Am J Psychiatry 2017: appiajp201717040472.
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