QUAND LE DÉPUTÉ Gérard Bapt veut souligner la gravité, selon lui, de l’affaire Mediator, il la qualifie de « beaucoup plus grave, sur le plan sanitaire » que celle du sang ou de l’hormone de croissance contaminés. Le scandale du sang noir, qui a conduit à la réorganisation de la transfusion sanguine en 1993 et n’est pas pour rien dans la mise en place du système de sécurité sanitaire et dans la conception actuelle de la responsabilité médicale, est devenu la référence.
Si l’on s’en tient aux chiffres, le débat n’est pas facile à trancher. Les décisions ou les retards reprochés aux responsables du Centre national de transfusion sanguine (CNTS), aux médecins prescripteurs et aux décideurs ministériels auraient conduit à la contamination par le VIH de 1 300 hémophiles et de 2 480 transfusés et, en 2003, quand la Cour de cassation a mis le point final, par un non-lieu, au dernier épisode judiciaire, on recensait 1 867 décès, dont 533 hémophiles (chiffres du Fonds d’indemnisation au 31 décembre 2002, les associations d’hémophiles et de transfusés faisant état pour leur part de 5 000 à 6 000 personnes contaminées). Quant à l’hormone de croissance contaminée par le prion, c’est au nom d’un millier d’enfants touchés, dont 118 au moins sont morts de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, qu’ont eu lieu deux procès en responsabilité, le verdict du deuxième étant attendu le 5 mai prochain.
Les ministres jugés.
Pour évaluer l’onde de choc qu’a représenté et représente encore l’affaire du sang, il faut se souvenir du contexte du début des années 1980. Une maladie nouvelle et qui fait d’autant plus peur que toutes les hypothèses circulent sur son mode de transmission. Le virus est identifié en 1983 mais la mise au point d’un test de dépistage prend du temps et il y a concurrence entre les Américains d’Abbott et les Français de Pasteur. Le dépistage systématique du VIH dans les dons de sang est institué le 1er août 1985 et le retrait des stocks de sang non chauffés interviendra le 1er octobre de la même année.
Aurait-on pu, aurait-on dû, dans les deux cas, prendre la décision quelques mois plus tôt ? C’est tout l’enjeu du procès devant la Cour de justice de la République, en 1999, des responsables politiques de l’époque, Laurent Fabius, Premier ministre, Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales, et Edmond Hervé, secrétaire d’État à la Santé, poursuivis pour homicides involontaires. Laurent Fabius et Georgina Dufoix, restée célèbre pour la formule « Responsable mais pas coupable », furent acquittés, Edmond Hervé fut condamné pour manquement à une obligation de sécurité ou de réserve mais dispensé de peine. Claude Évin, mis en examen à la suite de la plainte de la famille d’une jeune femme décédée à la suite d’une transfusion qui lui reprochait de ne pas avoir organisé, entre 1989 et 1991, le rappel des personnes transfusés avant le 1er août 1985, bénéficiera pour sa part d’un non-lieu.
Auparavant, quatre médecins avaient été jugés pour tromperie et non-assistance à personne en danger. En première instance, en octobre 1992, le Dr Michel Garretta, ancien directeur du CNTS, condamné à quatre ans de prison ferme et 500 000 F d’amende ; le Dr Jean-Pierre Allain, responsable au CNTS du département recherche et développement, à quatre ans de prison, dont deux avec sursis ; Jacques Roux ancien directeur général de la Santé, à quatre ans de prison avec sursis. Robert Netter, ex-directeur du Laboratoire national de la santé, était relaxé. En appel, en juillet 1993, les peines des deux premiers étaient confirmées, celle de Jacques Roux réduite à trois ans de prison avec sursis et Robert Netter était condamné à un an avec sursis. Jugement confirmé en 1994 par la Cour de cassation.
Restait, pour les victimes, à faire le procès des médecins prescripteurs et des conseillers ministériels. Trente personnes étaient mises en examen dans le gigantesque dossier instruit par Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui souhaitait que le Dr Garretta soit rejugé pour empoisonnement. Mais, en juin 2003, la Cour de cassation a confirmé le non-lieu de la cour d’appel.
Pour l’hormone de croissance contaminée, l’instruction sur les responsabilités entre 1983 et 1985 aura duré quatorze ans pour aboutir, en janvier 2009, à un jugement de relaxe générale, s’appuyant notamment sur les incertitudes scientifiques de l’époque. Le parquet ayant fait appel dans trois cas, le biochimiste Fernand Dray, ancien directeur de l’Institut Pasteur, et la pédiatre Élisabeth Mugnier, l’une des personnes chargées de la collecte des hypophyses dans les morgues des hôpitaux, ont été rejugées en octobre dernier – le troisième prévenu, Marc Mollet, est décédé avant l’appel. Elles connaîtront leur sort le 5 mai.
Article précédent
La peur du malade psychiatrique
Article suivant
La montée en puissance des malades experts
C'est arrivé en...
L’épopée de « la » maladie du 20° siècle
Un pilote en salle d’op’
Des choux et des roses aux éprouvettes
Le hasard et la nécessité
L’irruption de l’ADN en médecine
Et la radiologie devint imagerie médicale
La mortalité divisée par 2
Une métamorphose à poursuivre
Le grand atelier de l’infiniment petit
De Prométhée à Robocop
Une pandémie silencieuse
Pour le meilleur et pour le pire
La révolution permanente en pharmacie galénique
Trente années « lentes » puis dix ans d’accélération
Longévité et dépendance
Une sortie progressive du tout curatif
Se préparer à faire face à l’imprévisible
La peur du malade psychiatrique
Sang et hormone, les procès
La montée en puissance des malades experts
Pionnière, la France reste fidèle à ses principes
Une judiciarisation plutôt perçue que subie ?
Cibler les comportements plutôt que les produits
Nos lecteurs ont toujours raison
La reprogrammation nucléaire fait encore rêver
Entre droits définitifs et choix menacés
Le système sur le gril
Comment les héros sont devenus des pros
Sur le chemin de la banalisation
Comment la France a aspiré 15 000 praticiens « à accent »
Un service qui a gagné ses lettres de noblesse
Un déficit familier transformé en gouffre
Les déserts ont fait tache d’huile
Jusqu’où dématérialiser la médecine ?
Un carcan appliqué à la médecine
L’hôpital monobloc et monumental a explosé
Edifice touché mais pas abattu
De Boulin à Bertrand, ils sont trois à vraiment faire la loi
L’irrésistible expansion d’un business sans frontière
Le corps médical à l’école du pavé
Des États membres réticents à faire santé commune
Les médecins ont changé
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024