LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN – En quoi consistent les bistouris ultrasoniques* ?
Dr STÉPHANE HANS – Ces bistouris utilisent des ondes sonores de haute fréquence (de l’ordre de 50 000 vibrations par seconde) pour couper les tissus. L’intérêt de cette technique est de permettre une coagulation simultanée, qui n’existe évidemment pas avec les instruments dits « à lame froide », et qui reste incomplète avec les bistouris à électrocoagulation. Ceux-ci présentent par ailleurs l’inconvénient d’effets thermiques, qui diffusent aux tissus adjacents.
Les bistouris ultrasoniques sont apparus au début des années 1990. Initialement, l’objectif était de répondre à un besoin de la coeliochirurgie, très dépendante de l’optique, et par conséquent très perturbée par les saignements. Les premières utilisations de ces instruments dans le cadre de la chirurgie ORL remontent aux années 2000. Aujourd’hui, à l’Hôpital Européen Georges-Pompidou (HEGP), cet instrument est utilisé en routine pour la chirurgie cervicale, la chirurgie de la thyroïde, les évidements ganglionnaires cervicaux, les parotidectomies et les amygdalectomies. Le nombre d’équipes qui utilisent un bistouri ultrasonique en chirurgie ORL reste cependant relativement restreint.
– Quel est le bénéfice d’une limitation des saignements ?
La réduction des saignements se traduit par une diminution de la durée des interventions, du temps d’occupation du bloc, et une réduction de la durée moyenne d’hospitalisation des patients. Il existe également une diminution de la douleur.
Ces bénéfices sont notamment constatés dans les évidements ganglionnaires cervicaux, parfois hémorragiques et générateurs de séromes. Mais les études menées dans différentes indications aboutissent à des résultats concordants.
On peut citer trois études importantes.
Dans l’ordre des publications, la première est allemande [1]. Elle concerne 40 patients traités par un évidemment ganglionnaire cervical au-dessus du muscle supra-omo-hyoïdien. Le bistouri ultrasonique a été évalué de manière prospective, non randomisée, par rapport à l’électrocoagulation. Les résultats montrent une réduction de la durée de l’intervention (52 + - 10 minutes vs 86 +-22 minutes), une diminution des saignements (13 +-7 ml vs 85 +-58 ml), une diminution des volumes de drainage à J1 (30 +-26 ml vs 77 + - 65 ml) et à J2 (44 +-23 ml vs 118 + :-66 ml), et enfin, une meilleure cicatrisation, avec un taux de complications qui passe de 20 % avec l’électrocoagulation, à 5 % avec le bistouri ultrasonique (tous les p<0,001).
La seconde étude, italienne, a été menée de manière prospective et randomisés chez 37 patients opérés de la thyroïde [2]. Et ici encore, chez les 17 patients opérés avec un bistouri ultrasonique, les durées opératoires sont réduites par rapport à la technique classique, et les volumes de liquide collectés entre 24 et 48 heures sont moindres. On constate par ailleurs un œdème du cou plus modéré, ainsi que des douleurs post-opératoires moins intenses, et qui diminuent plus rapidement que chez les patients opérés de manière conventionnelle.
Enfin, la troisième étude est grecque, et concerne 90 patients randomisés avant une thryroïdectomie totale [3]. Contrairement aux études précédentes, une réduction des saignements n’est pas retrouvée ici. En revanche, les réductions de la durée de l’intervention et des douleurs post-opératoires sont confirmées. Les auteurs rapportent par ailleurs une réduction de la durée d’hospitalisation, et soulignent une plus grande facilité des interventions avec le bistouri ultrasonique.
Dans l’ensemble, ces résultats corroborent parfaitement notre expérience à l’HEGP.
Et quels sont les inconvénients du bistouri ultrasonique ?
L’inconvénient est unique selon moi, et il s’agit du coût. Pour le patient, le bistouri ultrasonique ne présente que des avantages. Le chirurgien, pour sa part, a tout à gagner sur le plan ergonomique : le maniement est facile, intuitif, et l’adaptation n’implique aucune courbe d’apprentissage. Reste donc l’investissement, de l’ordre de 30 000 euros pour le générateur, à quoi il faut ajouter quelques centaines d’euros d’instrument à chaque intervention.
Ces coûts ne sont pas pris en compte dans la T2A, et à ma connaissance, aucune discussion n’est en cours avec les autorités de santé sur cette question. Dans ces conditions, rares sont les hôpitaux et les cliniques qui peuvent s’offrir ce « luxe » en chirurgie.
Naturellement, les bénéfices en terme de temps opératoire, d’occupation des blocs et de durée d’hospitalisation mériteraient aussi d’être comptabilisés. Mais on sait qu’il est très difficile de démontrer en France que le surcoût d’une prise en charge serait compensé par une réduction des frais hospitaliers.
Il est néanmoins probable que la situation va évoluer, ne serait-ce que parce qu’à côté des nouveaux instruments d’incision, la chirurgie voit aussi se développer de nouvelles techniques robotisées, y compris en ORL, et que la question du coût devra être repensée globalement.
D’après un entretien avec le Dr Stéphane Hans, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris.
*On parle aussi de bistouri (ou de scalpel) harmonique, et en pratique, l’appellation la plus utilisée entre chirurgiens, est celle d’harmonic scalpel. L’Académie pardonnera cet emprunt à l’anglais.
(1) Kos M, Engleke W. Advantages of a new technique of neck dissection using an ultrasonic scalpel. J Craniomaxillofac. Surg. 2007 ; 35 : 10-4.
(2) Miccoli P, Materazzi G, Fregoli L et al. Modified lateral neck lymphadenectomy : a prospective randomized study comparing harmonic scalpel with clamp-and-tie technique. Otolaryngol. Head Neck Surg. 2009 ; 140 : 61-4.
(3) Papavramidis TS, Sapalidis K, Michalopoulos N et coll. Ultracision harmonic scalpel versus clamp-and-tie total thyroidectomy : a clinical trial. Head Neck 2010 ; 32 : 723-7.
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