Comme certains élèves, le corps médical serait-il fâché avec l’école ? Alors que les chronobiologistes tempêtent sur les rythmes scolaires et que les pédopsychiatres dénoncent la course à la performance à laquelle les écoliers sont de plus en plus soumis, les généralistes semblent avoir du mal à s’impliquer dans les affaires scolaires comme le révèle notre enquête menée auprès de 200 médecins généralistes.
« L’école représente pour les élèves la même chose que le bureau pour les employés. C’est à la fois un lieu de socialisation et un lieu où les élèves ont des comptes à rendre, doivent s’appliquer à leurs tâches, etc. Quand quelque chose ne va pas chez un adulte, on lui demande comment ça se passe au travail. Je ne vois pas pourquoi on ne poserait pas la même question lorsqu’un enfant ne va pas bien », explique le Dr Jean Brami, médecin généraliste à Paris. « En consultation, je demande régulièrement aux enfants et aux adolescents comment cela se passe à l’école », affirme aussi le Dr Catherine Freydt, médecin généraliste à Chatou qui s’intéresse de près à ce que vivent ses jeunes patients derrière les grilles de l’école. Pour autant, tous leurs confrères ne semblent pas en faire autant comme en témoignent les résultats – assez inattendus – de notre enquête téléphonique réalisée auprès d’un panel de 200 généralistes (voir infographie). Parmi les praticiens interrogés, près d’un tiers déclarent ainsi n’aborder ces questions en consultation « qu’en cas de problème majeur » tandis que seulement 36% le font régulièrement. « Chez l’enfant, en tant que professionnel de santé, nous avons effectivement tendance à privilégier une démarche de soins, centrée sur des pathologies aiguës ou des troubles du comportement, plutôt qu’à être dans une approche santé plus globale », analyse le Dr Marie-Hélène Certain, médecin généraliste aux Mureaux.
L’école comme baromètre santé
Cette généraliste installée dans une zone dite « sensible » s’attache à ne pas méconnaitre complètement le vécu scolaire de ses petits patients et à aborder le sujet avec eux. « Pas à chaque consultation, bien sûr, mais, par exemple, lors d’un certificat de non contre-indication à la pratique d’un sport. J’essaye de savoir où ils en sont, s’ils ont des problèmes à l’école. C’est important notamment à l’adolescence car cela peut être un symptôme d’alerte et révéler un problème sous-jacent. C’est d’ailleurs une des questions des tests rapides de repérage des troubles du comportement ». Même analyse de la part du Dr Freydt : « La façon dont l’enfant vit l’école est pour moi un baromètre très important de sa santé et de sa qualité de vie. à l’inverse, face à des symptômes atypiques qui se répètent, il faut savoir évoquer une souffrance à l’école ». « On ne peut pas faire comme si l’école n’était pas le lieu de vie où l’enfant passe une bonne partie de son temps », argumente, pour sa part, le Dr Jean Brami.
Reste que tous les généralistes ne semblent pas forcément convaincus de ces liens entre école et santé et de la valeur médicale du vécu scolaire de leur jeune patient. Interrogés dans notre enquête sur la relation possible entre rythmes scolaires et certains symptômes type insomnie, troubles de l’appétit, etc., 65 % des généralistes admettent un lien potentiel tout en soulignant que l’école est rarement la seule en cause (voir infographie). De même, dans un travail de thèse de 2009 portant sur la prise en charge des difficultés scolaires, la majorité des médecins généralistes sondés rattachent ces difficultés avant tout au contexte familial ou social tandis que les pédiatres interrogés y voient davantage l’expression d’un trouble médical spécifique.
Le MG, un interlocuteur de « second choix »
Dans cette logique rien d’étonnant à ce que plus de la moitié des généralistes (56% dans notre enquête) ne se sentent pas l’interlocuteur privilégié des familles face aux questions d’ordre scolaire. « S’il y a des soucis vis-à-vis de l’école, les parents et les enfants nous en parlent facilement mais ils ne vont pas venir spécialement pour ça, témoigne le Dr Freydt. En fait, ils nous en font part, comme ils nous parlent de leurs autres inquiétudes. Mais pas vraiment en tant que problème médical »
Dans certains cas, le médecin traitant est aussi sollicité par la famille « après la bataille, lorsque le bilan ou la prise en charge a déjà été mise en œuvre, juste pour un certificat ou une ordonnance », regrette le Dr Certain qui dénonce aussi une tendance de plus en lourde de recours aux généralistes pour des problèmes administratifs liés à l’école. « Maintenant on nous demande des certificats pour tout ! Et, bientôt, il faudra un PAI pour donner un sachet de Doliprane®… Et, au final, ce côté administratif freine nos relations avec l’école. »
Médecin scolaire, médecin virtuel
De fait, entre le généraliste et l’éducation nationale la communication n’est pas toujours facile. Y compris avec le médecin scolaire vers qui seulement 30% des généralistes interrogés se tournent en cas de soucis.
« J’ai peut-être tort mais il est vrai que l’idée de les contacter ne me vient même pas à l’esprit, témoigne le Dr Freydt. Ils ont un nombre tellement faramineux d’enfants que ce n’est même pas pensable, sauf peut-être en cas de handicap. » Aujourd’hui, le secteur d’un médecin scolaire comprend en moyenne 7 900 élèves alors qu’il en comptait 4 823 en 2004. Débordés et dispersés sur plusieurs établissements les médecins scolaires seraient donc un peu perçus comme des médecins virtuels par leur confrère généralistes ? Dans un travail de santé publique portant sur la relation médecin traitant-médecins scolaire dans l’Aisne, moins d’un généraliste sur dix disait savoir où contacter le médecin de l’éducation nationale en cas d’urgence. Et tous avaient l’impression de travailler dans deux mondes parallèles qui se rencontrent peu. « C’est, en tout cas, très personne-dépendant, commente le Dr Certain. Or, dans ce domaine, on devrait vraiment être par définition dans le multipartenariat. Surtout lorsque l’on travaille comme moi dans des endroits un peu difficiles... »