En France, avec plus de 30 000 décès par an, le cancer du poumon constitue la première cause de décès par cancer. Parmi les 49 000 nouveaux cas annuels, les trois quarts sont diagnostiqués à un stade métastatique. « Depuis les années 90, plusieurs études ont souligné l’intérêt du scanner à faible dose dans le dépistage précoce. En 2006, Ielcap avait montré que le traitement de cancers diagnostiqués au stade I offrait près de 90 % de survie à 10 ans (1). Ces dernières années, trois études ont prouvé le bénéfice du dépistage de sujets à risque, avec une diminution de la mortalité spécifique », rappelle le Dr Olivier Leleu (CH d’Abbeville). Alors, tandis que les Américains recommandent ce dépistage depuis une dizaine d’années, pourquoi cela bloque-t-il aujourd’hui en France ?
Retour sur les trois études clé : NLST, Nelson et Mild
En 2011, l’étude américaine NLST avait défrayé la chronique (2). Elle avait comparé, sur plus de 50 000 sujets à risque, un dépistage annuel trois années de suite par scanner basse dose à ce dépistage par radiographie thoracique. À 6,5 ans de suivi, le dépistage par scanner est associé à une réduction de 20 % de la mortalité spécifique et de 6,7 % de la mortalité totale. « C’était la première fois qu’un dépistage était associé à un recul de la mortalité globale, chose jamais démontrée dans les cancers du sein ou colorectal, souligne le Dr Leleu. Dans la foulée, en 2013, les Américains préconisent le dépistage. La société française de radiologie leur emboîte le pas. Mais la HAS rend un rapport négatif en 2016. Le bénéfice/risque de ce dépistage en France n’est pas pertinent, selon elle. Il faut avouer que le protocole NLST génère de nombreux faux positifs à l’origine d’investigations – d’ailleurs essentiellement non invasives », commente le Dr Leleu.
En 2019, l’étude néerlando-belge Nelson relance le débat (3). Cet essai, portant sur 15 000 sujets à risque, a évalué un dépistage par scanner basse dose à l’inclusion, 1 an, 3 ans et 5,5 ans, versus suivi usuel. Elle met à nouveau en évidence un gain en survie spécifique. « À 10 ans, la mortalité par cancer pulmonaire est réduite d’un quart chez les hommes, d’un tiers chez les femmes. En outre, la stratégie de gestion/exploration des petits nodules dépistés (5-10 mm) réduit singulièrement le taux de faux positifs », souligne le Dr Leleu.
Fin 2019 l’étude italienne Mild enfonce le clou (4). Cette étude a comparé, sur 4 000 sujets à risque, un dépistage par scanner annuel ou bisannuel, au suivi usuel durant plus de 5 ans. « À 10 ans, le dépistage est associé à une réduction de 40 % de la mortalité spécifique. Elle montre au passage que dépistage annuel et bisannuel font jeu égal et que, au-delà de 5 ans d’affilée, dépister reste intéressant » résume le Dr Leleu.
Consensus d’experts et expérimentations en France
« En 2018, un consensus d’experts rassemblant les sociétés françaises de pneumologie, de radiologie et l’intergroupe de cancérologie thoracique s’est prononcé pour le dépistage individuel des populations à risque. L’idée est de faire réviser sa position à la HAS et de lancer des expérimentations régionales », explique le Dr Leleu. La définition des sujets à risque reprend les critères d’inclusion de Nelson. À savoir : hommes/femmes de 50 à 74 ans, fumeurs actifs ou sevrage ≤ 10 ans, plus de 10 cig./j pendant > 30 ans ou plus de 15 cig./jour pendant > 25 ans. Le dépistage par scanner basse dose est préconisé à T0, 1 an puis tous les 2 ans jusqu’à l’âge de 74 ans. Au-delà de cet âge ou après plus de 15 ans de sevrage, le dépistage n’est en revanche pas recommandé. « Le dépistage doit bien sûr être associé à une démarche de sevrage tabagique », souligne le pneumologue.
« Plusieurs expériences régionales de faisabilité ont vu le jour en France. C’est le cas notamment dans la Somme, explique le Dr Leleu. En s’appuyant sur un réseau de MG et le centre régional de coordination des dépistages des cancers, nous avons lancé en 2016 une étude de cohorte sur 1 300 sujets, avec la stratégie de Nelson pour les nodules de 5 à 10 mm (scanner de contrôle à 3 mois). À T0, nous avons eu 72 % de participation et diagnostiqué 67 % de stades I. Parmi ceux-ci 76 % ont pu bénéficier d’une chirurgie curative seule, ou associée à une radio- et/ou chimiothérapie (5). À 1 an − ce sont les résultats que nous présentons au congrès − la participation a malheureusement chuté, à 35 %. » Ce qui montre qu’il faut remotiver et resensibiliser régulièrement le réseau de MG, et relancer les participants au moyen de courrier par exemple, ce qui n’avait pas été fait. « Mais l’efficacité est toujours au rendez-vous. On est à 75 % de stades I, dont près de 90 % éligibles à une chirurgie curative seule ou associée à une radio- et/ou chimiothérapie », résume le Dr Leleu. Cette expérimentation confirme que le dépistage individuel est une stratégie gagnante.
Exergue : Le recul de la mortalité globale obtenu n’a jamais été démontré dans les cancers du sein ou colorectal
Entretien avec le Dr Olivier Leleu (CH d’Abbeville) (1) Nejm 2006; 355:1763-71 (2) Nejm 2011; 365:395-409 (3) HJ de Koning et al. Nejm 2020; 382:503-513 (4) U Pastorino et al. Annals of Oncol 2019;30:1162-69 (5) Leleu O et al. Clin Lung Cancer 2020;21:145‑52
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