Pr André Grimaldi

« Le Théâtre, un remède à l’inobservance »

Publié le 02/03/2012
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Le diabète représente 12 % du budget de la Sécurité sociale, dont la moitié sert à soigner les complications dont la plupart sont dues aux difficultés à suivre le traitement. Le Pr André Grimaldi, diabétologue (CHU Pitié Salpêtrière, Paris) impose le terme « d’auto-inobservance » et livre son expérience du Théâtre du Vécu pour renforcer l’observance des patients diabétiques.

Le Généraliste. Qu’est-ce que l’« auto-inobservance » ?

Pr André Grimaldi. Le patient diabétique applique chaque jour 95 % des décisions médicales le concernant. Cela suppose qu’il y ait parfaitement adhéré. Mais il est souvent inobservant, ce qui est un défi à la raison. Car le patient sait ce qu’il doit faire. Et il sait faire. Il est convaincu qu’il devrait faire et pourtant il ne fait pas.

Pourquoi la volonté d’auto-observance est-elle souvent mise en échec ?

Pr A.G. L’auto-observance rationnelle est confortée par l’adoption de normes collectives. Néanmoins elle est tenue en échec d’abord en raison de l’ambiguïté du rapport à la norme. Cette dernière est un puissant déterminant comportemental.

Car sortir de la norme suscite la peur de l’exclusion, d’où le soulagement des patients d’avoir des résultats biologiques « normaux ». Mais c’est aussi la tentation inverse de ne pas prendre son traitement pour être comme tout le monde.

Ensuite la volonté d’auto observance rationnelle est contrecarrée par les besoins impérieux tels que les phobies (des hypo comme des hyperglycémies..), les pulsions et les compulsions, et les addictions. Elle est aussi mise en échec par la peur de perdre son identité en étant réduit à la maladie. En effet, l’avenir est obscurci par le deuil du « moi » perdu et par la crainte d’une dévalorisation de l’image de soi menacée par l’image que les autres ont de moi. D’où la tentation du déni, du déguisement, de la clandestinité ou de l’auto exclusion.

À l’inverse les patients peuvent faire de leur maladie une identité et de leur humiliation une fierté au point de refuser un traitement qu’ils jugent « normatif » comme certains sourds-muets. Il n’est possible d’avancer sur l’auto-observance que grâce à une humanité partagée c’est-à-dire comprendre sans juger.

Comment aider concrètement le patient ?

Pr A.G. Cela nécessite d’intégrer le projet de soins aux projets de vie. C’est aussi aider le patient à négocier le compromis optimal non pas avec le soignant mais entre son « moi » rationnel et son « moi » identitaire en se faisant l’avocat des deux parties et surtout l’avocat du diable c’est-à-dire du « moi » identitaire. Il faut donc faciliter l’expression de ce moi identitaire, ce que la médecine ne fait plus depuis longtemps (groupes de parole, ateliers de dessin, ou d’écriture, théâtre). Notre service de diabétologie travaille avec une troupe de la Cartoucherie de Vincennes, au rythme d’une session mensuelle pour mettre en pratique Le Théâtre du Vécu, conçu en 2002 par Jean-Philippe Assal, diabétologue, et Marcos Malavia, metteur en scène. C’est une activité thérapeutique et non de l’art-thérapie. Les patients -des diabétiques graves, insulinés, en échec…- écrivent un court texte sur un « vécu » important pour eux, durant deux ateliers et selon quelques consignes. Le 3ème jour, deux comédiens professionnels vont lire puis jouer le texte mis en scène par le patient. Le public est composé des patients et des membres de l’équipe d’ETP.

Quel est l’impact de cette « parole incarnée » sur l’auto-observance ?

Pr A.G. Le Théâtre du Vécu suscite une énorme émotion. Le jeu théâtral permet de « jeter le masque » pour exprimer les émotions et susciter l’empathie. Car il s’agit d’inspirer une réelle empathie, non pas purement cognitive mais émotionnelle, ce qui suppose de renoncer à la volonté d’emprise ou de manipulation du malade. C’est une tentation permanente du pouvoir médical qui se sent légitime au nom du bien du malade. Il s’agit de proposer une aide au malade pour avancer dans la voie de l’autonomie mais pour certains patients cette aide peut aller jusqu’à accepter sa « soumission volontaire » au moins transitoirement. Cela revient à dire « si pour vous l’auto-observance est si difficile, je vous propose d’accepter l’observance ».

Nous construisons actuellement une évaluation de ce Théâtre du Vécu. Selon le retour des patients, le Théâtre du Vécu leur permet de prendre du recul vis-à-vis de leur maladie, ils ont un sentiment de reconnaissance et sont impressionnés que l’on puisse faire de leur histoire banale et souvent triste quelque chose d’aussi beau. La maladie prend ainsi un sens pour eux et n’est pas seulement un boulet au pied. Un point très important à leurs yeux est que les soignants, qui représentent la Loi, la règle, la raison, reçoivent le message qu’ils ne sont pas réductibles à leur pathologie.

Propos recueillis par Helene Joubert

Source : lequotidiendumedecin.fr