Le Généraliste. Dans l’ouvrage que vous avez dirigé avec le Pr Jean François Mattei, vous formulez plusieurs propositions afin d’humaniser la santé. Faut-il comprendre que la médecine tend à se déshumaniser ?
Je crois en effet que les professionnels de santé suivent actuellement une pente dangereuse avec, au cours de ces dernières années, un virage net vers une « automatisation » de la médecine. Les progrès scientifiques (avec l’avènement de l’EBM) et surtout techniques y sont probablement pour beaucoup. Devenus pour certains une fin en soi, ils ont fait oublier le sens de l’humain qui devrait prévaloir dans toutes nos actions… Pour un jeune médecin notamment, la tentation peut être grande de se réfugier derrière ces moyens modernes qu’ils soient biologiques, radiologiques, etc… au détriment de la clinique qui passe au second plan. A cela s’ajoutent des contraintes administratives et économiques de plus en plus lourdes, ainsi qu’une judiciarisation croissante de la médecine. Toutes ces causes concourent clairement à déshumaniser la santé.
Face à cette tendance, vous défendez un humanisme actif. Qu’entendez-vous par là ?
Pr C. D. L’humanisme actif s’entend par opposition à l’humanisme bien pensant auquel je ne suis pas favorable. L’idée n’est pas de promouvoir une médecine des bons sentiments, ni de renier les progrès des sciences biomédicales, mais plus d’encourager une prise en compte globale des individus pour mieux aider chacun à acquérir, conserver ou rétablir la meilleure qualité de vie possible. Dans cette approche, la santé joue un rôle essentiel mais ne suffit pas. Il y a aussi tout l’aspect social et psychologique à prendre en compte.
Parmi les leviers à même de contribuer à cet humanisme actif, vous insistez notamment sur la formation des professionnels de santé.
Je pense effectivement qu’il faut réformer profondément les études médicales et paramédicales en donnant une place plus importante aux sciences humaines et sociales. Et ne pas privilégier systématiquement au niveau des concours les forts en maths. Actuellement, les étudiants sont pratiquement tous issus de bacs scientifiques et le contact humain avec le patient n’est pas leur préoccupation essentielle. Le fait que très peu se destinent à la médecine générale montre bien d’ailleurs qu’ils sont plus attirés par les aspects techniques de la médecine. …
Vous mettez aussi l’accent sur la prévention...
Oui, il faut développer une culture de la prévention et pour cela, organiser les actions de prévention dans le cadre d’un parcours spécifique. Avec par exemple, la mise en œuvre de consultations dédiées aux différents âges clefs de la vie. Il faudrait peut-être aussi pour certaines pratiques de prévention, si ce n’est les rendre obligatoires, du moins les assortir d’incitations fortes notamment financières, dans la mesure où leur inobservance porte préjudice à la santé des autres et la solidarité de notre système de santé. À mon avis, il faudrait rendre obligatoire, au moins pour un certain temps, la vaccination contre la rougeole et l’hépatite B.
Vous soulignez également l’importance de la personnalisation des soins et de la prise en compte du patient dans son intégralité, notamment au travers de l’éducation thérapeutique.
En favorisant la prise en charge individuelle des patients dans toutes leurs composantes, psychologiques, sociales et culturelles, l’éducation thérapeutique est un atout essentiel de l’humanisation de la santé. Mais actuellement, les programmes structurés d’ETP, le plus souvent d’origine hospitalo universitaire , ne sont pas toujours compatibles avec l’exercice de la médecine libérale. Par ailleurs ils sont souvent centrés sur une pathologie spécifique quand les patients cumulent souvent plusieurs pathologies.
Si l’on veut développer une éducation thérapeutique au plus près du patient et de son entourage, il est donc essentiel de l’intégrer à la pratique des professionnels de santé de premier recours en favorisant des initiatives plus locales impliquant le médecin traitant, le pharmacien, … .
Finalement, les généralistes sont peut-être ceux qui sont le plus proche de l’humanisme que vous défendez…
C’est vrai… Il faut remettre la clinique au gout du jour, discuter avec le patient l’interroger sur sa vie, ses possibilités de se soigner , etc.. et le généraliste joue à ce titre un rôle très important. Malheureusement, de moins en moins de médecins se dirigent vers la médecine générale.
Article précédent
Préconiser l’automesure
Article suivant
Des angoisses à estimer
Instaurer un dialogue à long terme
Préconiser l’automesure
Plaidoyer pour une médecine plus humaniste
Des angoisses à estimer
Un outil d’évaluation visuelle : l’échelle GEA
Expliquer l’utilité d’une prise en charge psychologique
Qu’en est-il du risque suicidaire sous isotrétinoïne ?
Gérer l’automédication
Surmonter les réticences
Travailler en réseau
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature